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Entretien avec Antoine Vayer. Partie 2.

06-02-2015, 12:04 - Mathieu

Voici la deuxième partie (sur 4) de notre entretien avec Antoine Vayer. Vous pouvez retrouver la première partie ici : Chapitre 1. Dans les prochains chapitres, nous laisserons de côté Festina pour retrouver les calculs de Watts, les performances de 2014, l'UCI, le CCN, et bien d'autres sujets.

Ce deuxième chapitre nous permet d'aborder avec Antoine Vayer son expérience au sein de Festina : avant, pendant et après l'"affaire de 1998". La discussion reprend sur la fin de l'année 1995, alors qu'Antoine Vayer vient d'être embauché par cette équipe.


Comme vous pourrez le constater, le dynamisme du personnage nous fait parfois partir dans tous les sens au cours de l'interview...

Nous avons essayé de documenter l'interview, afin de retrouver les différents articles et "pièces à conviction" de cette période.

ChronosWatts : Comment se passe ton travail chez Festina ? Je suppose que tu fournis des plannings d'entraînement à tes coureurs, avec des contraintes strictes à respecter. Et en parallèle de ton travail des « protocoles de soin » sont mis en place, mais tu n'en connais pas forcément le détail...

Antoine Vayer : Pas des « protocoles de soin » : du dopage ! Hypocrisie. Il y a notamment mes protocoles de timing d'intensité progressive d'échauffement, que je colle au bus pour les coureurs. Ils sont parfois associés par les soigneurs (notamment Marcelino Torrontegui qui se disait « le bras droit de Ferrari » !) à des croix, des ronds, pour la caféine, des produits pour tamponner l'acide lactique, etc. Je ne suis pas con, je déchiffre. Ca me navre. Mais je rencontre des mecs comme Bassons, qui refusaient de se doper. C'est quand même relativement pratique, tout de suite, ça passe entre nous, comme si on se reconnaissait ! Et puis la première année, en 1996, les mecs ne m'en parlaient pratiquement pas. Mais au fur et à mesure, par rapport à ce que je voyais, ils ont commencé à m'en parler. Pascal Hervé, de retour d'un stage, me dit que le docteur Belge, c'est le docteur « Punto » par rapport à Ferrari, et qu'il se « soigne » tout seul, essentiellement à base d'hormones pendant les grands tours. Faut dire que la veille, je n'ai pas dormi car ils m'ont « piégé-initié » au pot belge en en versant dans mon café et en observant, morts de rires, mes réactions. Ce pot belge était partout, pour les coureurs (en festif) et dans les veines de pas mal de directeurs sportifs et soigneurs. Toutes équipes confondues, et pendant les courses. Pour éclairer leur route dans la joie et la surexcitation ! Ce docteur « Punto », Eric Rijkaert, a aussi commencé à m'en parler l'hiver 1997.
A propos des plannings d'entraînements, il faut savoir que l'équipe Festina est la première équipe dont les coureurs recevaient toute l'année des programmations détaillées d'entraînement par fax ! Vingt-quatre coureurs, Virenque compris, même s'il ne sait pas lire, et encore moins écrire ! On s'est même servi du minitel ! Les coureurs avec une interface Polar envoyaient les valeurs de leur cardiofréquencemètre sur le minitel.



CW : Le minitel ! Tu as cherché à informatiser la gestion de ces données dès le début ?

AV : Lorsque je suis arrivé chez Festina en septembre, j'ai pris RDV avec Siemens Nixdorf à Paris, et j'ai fait offrir un ordinateur portable avec station d'accueil à tous les membres de l'encadrement et aux coureurs. Virenque m'a demandé combien il pourrait le revendre... Le premier à acheter un ordinateur, avant que je lui offre, c'est Brochard. Nous ne sommes qu'en 1995 !
J'ai eu des relations d'attachement presque fusionnelles et extraordinaires avec certains coureurs. Au départ. Après, ça s'est bien dégradé parce que plus ça allait et moins... Disons que cet état d'esprit d'être « au-dessus des lois », je ne supportais plus. Je voyais bien que mon travail était une bonne partie de la réussite de l'équipe, mais je voyais aussi qu'à côté se structuraient d'autres choses auxquelles je n'adhérais pas dans le fond. Mais dans la forme, je n'avais pas le choix. J'en ai parlé à des journalistes, qui sont toujours dans « le milieu » journalistique, mais ils s'en foutaient royalement. Ils me disaient tous que l'important n'était pas d'avoir le plus grand entraîneur du monde, mais d'avoir le meilleur docteur, mais plus « Punto ». Tous les bons journalistes de l'époque sont partis du milieu, dégoûtés.
Après, fin 1997, le docteur « Punto-Rijkaert » est venu vers moi, il m'a convoqué dans son immense demeure flamande (c'était glaçant, comme la Flandre l'hiver) pour me dire qu'il fallait que je fasse attention, car sur certains entraînements, les gars prenaient « certains produits ». Il parlait du clenbutérol. Je n'étais pas au courant. Il m'a mis au courant. Sans doute une utilisation importée de l'équipe Once. Stephens devait avoir été débauché tant pour ses qualités que pour ses connaissances.
En tant qu'entraîneur j'allais quand même sur quelques courses. Je me rappellerai toujours d'un Paris-Nice, où je rentre dans la chambre d'hôtel où se trouvaient les quatre leaders de Festina : ils étaient tous perfusés... Je me rappelle aussi de Stephen Hodge, l'australien, un mec bien élevé, intelligent, tout comme Laukka ou Meier par exemple. Je rentre dans sa chambre, il se « fléchait » dans l'épaule. Il me regarde, et sachant qui j'étais et sachant que ce n'était pas mon truc, il me dit « bah oui j'suis bien obligé ». Je pensais que c'était un des mecs qui ne prenait pas grand chose. Mais si. Tous, tous, tous. A postériori j'ai compris aussi qu'une grande partie des amateurs avec qui j'avais couru à un certain niveau se dopaient. Sauf Bassons, qui résistait, comme au bar où 23 boivent en se marrant et le 24ème ne veut qu'une limonade.



Je n'ai jamais dit que je n'étais pas au courant de certaines choses. Bien au contraire. Quand j'ai déposé de moi-même en février 1999 pour le procès Festina, à ma demande, auprès du juge Keil via des policiers à Montparnasse, je suis venu avec des gros dossiers. Je n'avais pas été entendu jusque là ! Cela devait durer une heure, j'ai demandé à être entendu la journée, par le détail. Pour me protéger, les policiers m'ont demandé si je ne souhaitais pas être placé en garde à vue et que cela se sache ! Sans mon témoignage, Virenque ne serait sans doute pas allé au procès... Le dopage, tricher, ce n'était pas mon truc. C'est pour garder une crédibilité par rapport à certains coureurs qui me dénigraient, que je me suis mis au courant en 1998. Zülle était là cette année, le nouveau docteur Jimenez aussi. Je l'avais un peu perdu, cette crédibilité. C'était pourtant un mois avant le titre de champion du monde de mon « protégé » Brochard.
Roussel voulait qu'un coureur « prometteur » gagne le contre-la-montre du GP des Nations. Il me dit que j'ai carte blanche, et j'emmène autour de ce coureur un groupe (dont Bassons) faire une semaine en Belgique pour des semis classiques. Comble de l'ironie, ou bien hasard précurseur, le camp de base était dans un hôtel de ... Neuville en Ferrain où Willy Voet sera arrêté 10 mois plus tard. Dès le second jour, je retrouve dans la voiture Festina une paire de boucles d'oreille qui appartenaient à la serveuse du restaurant, avec qui mon « leader », pourtant marié, a passé la nuit plutôt que dormir. Le lendemain, seul Bassons dort à 22h et les autres sont partis vers les lumières roses Belges... Ce ne sont pas des gamins de collège. Mon leader ne prendra même pas l'avion de retour prévu mais louera une voiture pour rester avec sa belle du moment. Il fait aux alentours de la 10ème place aux Nations. Roussel me demande des comptes. Je lui explique. Dés lors, je deviens « celui qui dénonce », dont il faut se méfier, j'ai brisé une des lois du silence.
De même après le Tour 1997 je conteste le fait que les coureurs du Tour, « les barons » ne veulent plus partager leur prix avec les autres en ne les mettant plus dans le pot commun. Je deviens un syndicaliste. Je ne touche aucun franc de ce pot commun, je me bats pour les autres coureurs de l'équipe et le personnel.



CW : Dans ce contexte, à quel point arrives-tu à mesurer l'impact de tes entraînements ? En sachant ce qu'ils prennent...

AV : Je me suis toujours posé la question. Mais je pense quand même qu'en plus de l'entraînement (inexistant sauf empirique avant que je n'arrive) j'apportais des choses pratiques, efficaces. D'abord je leur ai appris à s'échauffer ! Personne ne s'échauffait chez les pros. Les home-trainers qui sont aujourd'hui alignés systématiquement, c'est un peu moi... L'autre chose que j'ai inventée ce sont les reconnaissances systématiques du Tour de France pour toute l'équipe. Ce n'est pas Lance, ça ! Il faut se dire qu'en 1996 et 1997, les 9 coureurs Festina avaient reconnu 90% des étapes, sur 3 mois. C'est la première fois que ça se faisait. Et pendant certains stages, j'avais invité les femmes et enfants des coureurs. Révolution ! Parfois j'allais aussi filmer des étapes. Moi c'était mon boulot, le boulot de dopage ça ne m'intéressait pas.
Je venais sur la plupart des grands contre-la-montre des courses par étape, et je faisais le point avec les coureurs en organisant la journée. En septembre 1995, je vais au Tour de l'Avenir et j'échauffe Moreau, qui ne prenait rien à ce moment là. Je l'emmène derrière la voiture, je le mets sur home-trainer, je lui fais des protocoles, et il fait 4ème ou 5ème. L'année d'après, Moreau a « passé la barrière des soins », du dopage. Je l'emmène, même protocole, mais il me fait des grands signes de bras quand je l'emmène derrière la voiture. Je m'arrête, il s'arrête dans un champ et il se fait une piqûre, le cul dans l'herbe, pour prendre de la caféine, de l'ozotine, un truc comme ça. Et il gagne le prologue. Je vois quand même pas mal de choses (rires). J'assiste à tout ça, de manière un peu... (il soupire). Voilà quoi... Quand j'en parle, on me dit « t'es mignon mais c'est comme ça que ça marche ». Je suis un spectateur passif. Je ne me révolte pas. Sauf en 1998, où j'étais relativement actif. Sur les préparations d'entraînement je savais quels mecs prenaient du clenbutérol, parce que le docteur me l'avait dit. Et il m'avait dit qu'il fallait modifier les programmations d'entraînement pour qu'ils en fassent moins, ou différemment.

CW : Là ça impacte très directement ton travail.

AV : Ouais, là ça impacte directement mon travail, en 1998, oui. Je me dis qu'il faut que je fasse quelque chose. Brochard, avec le maillot de champion du monde, est « bloqué » après une cure, et prend 10 minutes lors de la 1ère étape du Midi-Libre. Mais « débloqué » il remporte les trois étapes suivantes. Je ne me fais pas d'illusion sur le pourquoi de sa contre-performance et de ses performances. Pareil pour Zülle lorsqu'il survole le tour d'Italie devant Pantani et les autres. A une semaine de l'arrivée, il n'avance subitement plus ! A cause d'une piqure de corticos du docteur Jimenez ET du soigneur Torrontegui qui en remet une couche. Zülle n'en prenait jamais, mais l'encadrement voulait sans doute se « valoriser »... C'est pour ça que quand j'écris dans Libé « Pas de socquette légère à la Toussuire » en 2006 pour décrire le lendemain l'ineptie de la victoire de Landis, je sais de quoi je parle. Je suis le seul sur le moment à dénoncer, là où tout le monde crie à l'exploit historique... Comme d'hab' ! Mais je sais qu'il faut que je réagisse, surtout en Juin 1998 quand Roussel me dit :
- « Les gars en ont marre de "Punto", et Jimenez ne donne pas satisfaction, je veux que tu ailles à Rome voir "le pape", son nom de code »
- « Le pape, c'est qui ? »
- « C'est Daniele Tarsi, le médecin de Casino » (Equipe dirigée par Lavenu et qui a gagné en 1998 une multitude de courses).
Je prends mon avion et vais le voir deux jours. Je filme toutes nos conversations. Il m'explique en me parlant à demi-mot que, même s'il entraîne les coureurs de Casino (il a un labo avec un SRM) nous pouvons selon lui « collaborer ». Tout juste concernant le dopage, il me dit que les Français prennent trop de corticos. C'est très sympa, je vois sa famille, la casa, je bois du bon vin. Mais au retour, je panique un peu. Je me dis qu'il faut que je fasse quelque chose, je ne suis pas à l'aise.



CW : Comment aurais-tu évolué s'il n'y avait pas eu ce scandale ?

AV : S'il n'y avait pas eu ce scandale, je pense que c'est très clair. Pour continuer à avoir de la crédibilité, je pense que j'aurai basculé du « côté obscur de la force ». Je pense que j'aurai essayé de convaincre Bassons de se doper. Je ne sais pas. Ce que je sais bien, c'est que Willy est arrêté à Neuville à Ferrain, et que c'est une excellente chose.

CW : C'est fou.

AV : Faut remettre dans le contexte ! C'est la raison pour laquelle culturellement, je comprends Armstrong, Bruyneel, et la presse dithyrambique derrière eux pendant 10 ans. Mais l'erreur essentielle est de les blâmer et les vouer aux gémonies plutôt que de les utiliser. Là, Cookson ne m'a pas écouté, il a peut-être eu raison. Nous verrons avec la CIRC (Commission Indépendante de Réforme du Cyclisme) s'ils ont témoigné et ce qu'ils ont apporté au vélo.

CW : C'est un grand contraste avec ton statut actuel de « héraut » de la lutte anti-dopage. Avec les convictions qui sont aujourd'hui les tiennes, on peine à réaliser l'évolution.

AV : Héraut ? Leblanc disait paladin. Je n'avais pas véritablement de convictions, par méconnaissance. J'étais passionné par l'idée de l'entraînement ! Mon boulot ça a été de dire à Roussel dès 1995 « arrête tes conneries de sélectionner les mecs avant le Tour en juin, laisse moi faire. On a plus de vingt coureurs, on va les séparer en trois groupes Giro-Tour-Vuelta, chaque groupe préparera spécifiquement une course. On a du pognon, on va organiser des stages. Au lieu de laisser les coureurs chez eux, ils vont faire des stages ». Je suis le premier à avoir organisé systématiquement des stages. Auparavant les coureurs pros ne faisaient qu'une petite semaine pour remettre les maillots début février avant les courses, toutes les équipes. J'ai systématisé des stages d'entraînement dès décembre, pendant 15 jours. Puis trois semaines en janvier, en mai avec tel groupe, etc. J'avais des gars chez moi entretemps à Laval. Ils passaient des tests (VO2 max, DLtest, tests de terrain avec lactatémie, etc.) tous les deux mois pour certains. J'ai structuré l'équipe. Quand je vois les reportages sur l'entraînement des structures actuelles pour vendre leur « savoirs et suivi » avec des scientistes à la mords-moi-le-noeud pour certains, je me dis qu'ils découvrent le fil à couper le beurre 20 ans après ce que nous avions mis en place chez Festina. Le premier hiver, les mecs (dopés certes, comme d'habitude) sont tous sortis de la préparation avec pratiquement 5kg de moins par rapport aux années précédentes. Donc ils ont tout défoncé dès Bessèges et le Tour Med.
La première course que j'ai faite officiellement en tant qu'entraîneur en 1996 c'est le Championnat de France de cyclocross. Le cyclocross c'est une discipline très précise. Roussel m'avait dit « tiens Antoine comme challenge je vais te donner un truc sur le Championnat de Cyclocross ». Mes coureurs font premier, deuxième et troisième. Voilà ! Magnien, qu'on avait laissé gagner, Chiotti et Halgand, avec trois niveaux de dopage différents, je l'ai su après. Ces 3 mecs là sont la base de l'équipe de France aux Championnats du Monde à Montreuil. Moi je voulais que ce soit Chiotti le leader, mais l'entraîneur national a voulu que ça soit Magnien, qui était con comme une bite. Et au lieu de faire le parcours pour Chiotti, en mettant les planches comme il fallait, et bien c'est Van der Poel qui gagne. Chiotti doit faire 6 ou 7ème (en fait 9ème) et Magnien doit faire 5ème (en fait 6ème). Bref c'est une autre histoire.



Et puis il y avait Boscardin en Suisse. Un mec bien. Je le rencontre dès 1995 quand Roussel m'embauche. Roussel me prévient qu'il compte le virer. Donc je vais voir Boscardin en lui disant « écoute tu vas être viré, mais si tu veux tu vas t'entraîner ». C'est la première fois de sa vie qu'il s'entraînait de manière structurée, et il a fait une super fin de saison ! L'année d'après il gagne une étape de Paris-Nice, il gagne Paris-Mantes et le Tour du Haut Var, et c'est lui au Tour 1996 qui permet à l'équipe de gagner le classement par équipes. Mais « Bosca » était surement passé à l'EPO en même temps.
Mon boulot a quand même eu un effet assez fort sur les mecs et sur l'équipe, c'est ma conviction. La preuve, maintenant c'est ce travail qui est mis en avant par les équipes pour expliquer qu'ils sont performants !
Tout le monde savait que la structuration « in vivo » de l'équipe dans le fond c'était Antoine Vayer. Mais évidemment, il y avait le dopage « in vitro ». Les autres équipes avaient le dopage, mais ils n'avaient pas l'entraînement, pas l'entraîneur, pas la structuration d'équipe, pas l'intelligence. Lance, en reprenant nos concepts, avec Johan, étaient intelligents... avec un cancer en plus. La belle histoire américaine classique.

Les journalistes préféraient voir Rijkaert, ils s'en foutaient de l'entraînement et de l'entraîneur. Puisque dans l'état d'esprit des journalistes c'était le dopage qui faisait les perfs. Ils ne savaient même pas ce que c'était l'entraînement. Il y a juste un journaliste de l'équipe, JL Gatellier qui avait fait une demi-page « la courbe de Halgand » au championnat du monde. Mais l'entraînement ils s'en foutaient. Ils étaient tellement loin de ça, ils ne savent même pas ce que c'est.


L'article est accessible ici

CW : C'est d'ailleurs un problème commun à tous les sports, même jusqu'au football qui est pourtant le sport le plus médiatisé. Le débat tourne très rarement autour des questions d'entraînement ou de stratégie. Ton expérience montre en tout cas clairement le sentiment d'inéluctabilité face au dopage à cette époque.

AV : Avant d'entrer chez Festina, en 1995, je m'étais fait embarqué comme chauffeur de presse au Parisien et pour Ouest France, dans leur voiture. J'ai « couvert » le Tour d'Italie en tant que chauffeur, pour voir certains de mes coureurs. Je me rappelle bien de Dufaux et de Pascal Hervé. Ils étaient en file indienne toute la journée, ils n'étaient pas encore sous EPO, et Dufaux me dit « de toute façon on n'a pas ce qu'ils ont, on peut pas suivre, on peut rien faire ». En rentrant du Giro, on passe par la classique des Alpes. En Junior le matin, c'est Peter Pouly, un pur VTTiste (comme JC Péraud que j'ai entraîné ensuite jusqu'à l'Olympiade d'Athènes) de 18 ans qui l'emporte ou finit 2ème. L'après-midi mon autre poulain Lebreton, passé pro, arrive à suivre Indurain qui fait l'avion, et finit 5ème . De quoi être fier je me dis. Je ne suis pas encore chez Festina. Ce sont les italiens et les espagnols qui ont amené le dopage systématique. Ce n'est pas Festina. La culture, elle est italienne. C'est Ferrari et les italiens, suivis par les espagnols, qui ont embauché des russes n'ayant pas froid aux yeux, point barre. Kivilev, mon ami mort qui était le frère de sang de Vinokourov, m'a bien expliqué sa philosophie de vie. Elle n'était pas celle de Bassons ou Péraud. Ils n'ont pas eu les mêmes parents, ni la même vie. J'ai rencontré un directeur sportif que je ne peux pas nommer qui m'a dit « notre critère à l'époque pour être sélectionnable au Tour d'Italie, c'était d'arriver aux alentours de 60% d'hématocrite. »

CW : Impressionnant... On sait aussi que Roussel était un des premiers à mettre en place un dopage d'équipe. Plutôt que laisser les mecs faire ça dans leur coin, il préférait l'organiser pour qu'ils ne fassent pas n'importe quoi.

AV : Oui c'est organisé, mais dans les autres équipes c'était très organisé aussi, faut pas exagérer. Mieux même sans doute, puisqu'ils ne se font pas choper ! Ils sont jaloux, c'est tout, et les « Barons » de Festina sont arrogants (surnoms de coureurs de l'équipe en 1998).
En 1998 si les voitures avaient toutes été fouillées au même moment, on aurait trouvé les mêmes stocks, c'est clair. Je savais où étaient planqués les produits de la Quick-Step, à l'époque Mapei par exemple. A cette époque là il eut suffit de me demander, j'aurai pris des renseignements et j'aurai pu te dire dans quelle voiture, qui, etc. Dans toutes les équipes c'était comme ça. Roussel a peut-être voulu encadrer ça de manière un peu plus atténuante, comme Armstrong. Armstrong il n'a rien inventé, il a repris ce que faisait Festina, avec un DS et un staff, en ajoutant les transfusions sanguines, avec intelligence et pas avec un mec analphabète comme Virenque qui par limite intellectuelle s'est empêché de gagner le Tour 97, mais avec Lance qui est brillant intellectuellement.

CW : Du coup tes convictions, ta lutte contre ce fléau, trouvent peut être leurs origines dans le fait que le dopage t'a privé de ta carrière d'entraîneur ?

AV : Oui, quoique je n'ai jamais été carriériste. Je m'en balance de l'argent. Mais c'est vrai que quand il y a l' « affaire Festina », c'est un soulagement que je souhaitais. Cela me remet droit. Juste à temps. En fait je me mets à lutter frontalement contre le dopage que quand il y a l'affaire Festina.

Chez Festina, j'étais contre le dopage, mais de manière passive. L'« affaire» me permet d'être contre de manière active, en sachant ce que j'ai vu. C'est ça qui a gêné tout le monde quand j'ai commencé à parler en 1999. Dès que Willy Voet se fait choper, la première chose que je fais c'est de téléphoner au ministère. J'ai eu le conseiller de Buffet je crois. Il savait qui j'étais, et il me dit « bon là c'est fini ». Je lui explique que pour toutes les autres équipes c'est pareil, et que ça va continuer. Mais il ne me croit pas. Ensuite, j'en prends plein la tête. Je fais par exemple une double page commandée par Paris Match (2001) où je dis tout sur Armstrong et consorts. Armstrong a quatre pages. Le magazine s'est vendu à un million d'exemplaires. Le gros titre, c'est « Questions pour un champion ».

L'article est disponibles aux liens suivants : page 1, page 2, page 3

CW : Ceux qui ont fini par avouer dans cette affaire ne l'ont pas fait par choix, ils ont parlé parce qu'ils étaient interrogés par des policiers ou des juges. Ce qui est étonnant c'est que toi, au moment où le scandale explose, tu te dis c'est le moment d'avancer, et tu demandes à parler.

AV : C'est comme le médecin de chez Garmin (Prentice Steffen) qui a été embauché au départ dans l'équipe d'Armstrong. On lui a reproché de cracher dans la soupe, alors qu'il était contre le dopage. Au procès Festina on m'a demandé si j'avais servi de caution par rapport au dopage. Peut être, mais je ne pense pas. Roussel était convaincu des bienfaits de l'entraînement. Il n'était pas avide de pouvoir ni d'argent. Il aimait le vélo. On sait que je n'ai pas été embauché pour ça. Je n'ai pas été embauché pour être un paravent du dopage ipso facto, mais pour faire en sorte que les mecs s'entraînent.

CW : Suite à ce scandale, est-ce que tu as l'impression que le dopage devient l'ennemi n°1 ?



AV : Non, et même au contraire certains ont pris ça pour un défi. J'étais au château en Chiraquie avec les coureurs quand ils ont été exclus en 1998. Quel délire. Deux mois avant, on avait fait une reconnaissance du contre-la-montre et avions été reçu comme des princes par Madame Chirac que je promenais en voiture ! Et puis j'ai dit à Brochard : « c'est génial, maintenant tout le monde va arrêter. Et si tout le monde arrête vous serez les meilleurs ! ». Et Brochard me regarde et me dit « ils n'arrêteront jamais, tu veux rire ». Personne n'y croyait.



J'avais fait venir un truc exceptionnel au niveau technologie, unique, le jour où Festina a été viré. Une boîte avec deux gars qui, pendant deux jours avaient « farté » les vélos, les casques de contre-la-montre, les combinaisons avec un produit nouveau pour la pénétration dans l'air. Les gains étaient géniaux, évidents, chiffres à l'appui, tests effectués. J'avais fait un test en « live » avec Zülle au Giro 1998 quand il avait battu le record mondial de vitesse dans un contre la montre long en doublant Pantani parti trois minutes avant lui. Ca, c'était mon rôle. Mais les mecs se sont foutus de leur gueule, comme ils s'étaient moqués des plateaux ossymétriques que j'avais emmenés au chrono en 1996 après avoir démontré leur efficacité (Ces plateaux ont été utilisés par Wiggins lors de son tour victorieux et le sont toujours par Froome). J'ai eu honte de ces mecs vraiment cons qui m'ont signifié que quoi qu'il arrive, ils continueraient à tricher avec des médicaments plutôt que gagner avec de la technologie en étant en avance sur les autres.
Je ne voulais plus « être Festina », mais moi-même, débarrassé de ces idiots junkies dans le corps et dans leur tête (de moineau). Ils étaient devenus complètement « débectables » dans l'état d'esprit. C'étaient pourtant des charmants garçons en 1996, et individuellement, ils peuvent être charmants. En 1998 ils étaient les « Barons », des mecs puants qui jouaient au billard avec des billets de 500Frs, et qui faisaient n'importe quoi n'importe comment. Et qui te crachaient dessus aussi à certains moments, quand ils étaient trop bourrés ou hors de contrôle.

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CW : Comment se passe « la rupture » ?

AV : C'est là que c'est encore plus vicieux. Je suis convoqué par l'avocat de Festina, en Espagne en septembre 1998. Il me reçoit à minuit et demi. Et il me dit « Antoine, le dopage de l'équipe, c'est toi ? C'est toi qui organise tout ». Tu veux rire ou quoi ? Je lui explique comment ça se passe, ce qu'il savait déjà pertinemment. On fait le tour de tout ça. Il me propose beaucoup d'argent pour rester dans l'équipe. A Bassons aussi. Je lui ai dit « on va voir ». Il savait très bien que je bossais avec Bassons, avec la même philosophie, qu'on était cul et chemise. Et Bassons prend de la « valeur ». Je savais qu'ils n'allaient plus avoir la même société et que Bassons allait pouvoir partir. J'ai dit à l'avocat que je partais, Bassons aussi, et qu'il me devait mes indemnités d'un an de contrat. Qu'on puisse tous faire ce qu'on avait envie de faire... Il a signé le chèque en me disant merci de manière très hypocrite. Il savait également que je savais qui avait amené les premières doses d'EPO dans son avion privé, ces doses qui avaient « fait » Virenque...
Et j'ai refait ce que j'avais fait avant Festina, c'est à dire bosser avec des coureurs de manière indépendante, en électron libre. Je suis rentré du Tour d'Espagne en avion avec Madouas qui m'a demandé de l'entraîner. Lino l'a voulu aussi, et d'autres pros, Kivilev par exemple. J'avais une dizaines de pros, et j'ai voulu fonder ma société AlternatiV, de coaching et management. Je me disais que j'allais travailler avec des coureurs qui ne veulent plus se doper, ou pas se doper (Bassons). Mais tu parles, dès février un d'eux se faisait chopper parce qu'il avait falsifié une ordonnance, un autre travaillait en parallèle avec Bernard Sainz, Kivi me dit que « c'est le boulot de faire avec des produits », une autre me dit qu'elle a bien été championne du monde avec tout ce qu'il fallait... Et puis voilà, je me rends bien compte de l'ineptie du truc... même si Madouas gagne une étape du Dauphiné Libéré devant Lebreton et Bassons une autre devant Lance. Je reprends mon boulot de prof en septembre 1999 après ce fameux Tour où je coache Bassons et où Lance gagne.

CW : C'est à cette époque que tu commences à écrire des chroniques dans la presse ?

AV : J'écrivais déjà dans le magazine Le Cycle en tant qu'entraîneur. Je le fais toujours, c'est une fierté depuis 17 ans. J'ai été contacté par Le Monde pour écrire mes premières chroniques en 1999. Une chronique tous les jours pendant le Tour, tout en étant l'entraîneur et le coach de Bassons (avec ce qu'il s'est passé...). C'est comme ça que j'ai commencé.
J'ai pu prendre la parole, et on m'a donné la parole ! Sur RTL quand Lance gagne le prologue, je suis dans le studio avec Verbruggen et Donor, le chef des journalistes sportifs. Verbruggen me fusille du regard, Donor est mielleux. Je le chope à la sortie pour lui parler de son hypocrisie. Il me hurle dessus en me disant « Verbruggen, c'est mon fond de commerce, alors ferme là ! ».
Alors qu'avant je n'intéressais personne... On ne me posait pas de question, et quand je disais quelque chose, personne ne voulait m'écouter. Ce qui m'a le plus gêné c'est l'hypocrisie, et le fait de ne pas avoir la volonté de lutter radicalement contre le dopage .
Je l'ai toujours dit et je le soutiens, ce que je prônais c'était un an d'arrêt du vélo ! Au moins du Tour de France. Un moratoire. Tout le monde disait « mais nooon » ! Il fallait une année moratoire. Si on avait fait ça, je ne pense pas qu'on en serait là aujourd'hui. A la place on a eu le « survivor » Lance. Tout le monde savait. Ce que j'écrivais à l'époque en 99 avec Le monde, personne n'en voulait. Sauf David Walsh et Ballester qui avaient compris. Toutes les solutions qui sont apportées aujourd'hui, moi je les prône depuis 1999. Je les ai écrites à cette époque, j'ai fait un manifeste qui s'appelle « 100 pour 2000 » que j'ai fait signer à des artistes, des sportifs, des écrivains, etc. Tout est dedans. J'ai même été reçu à l'Unesco pour ce manifeste. Sans suite. S'il avait été appliqué, ça serait terminé. Et je me suis dit, tant que ce n'est pas fini, je continue.

Le manifeste 100 pour 2000 (PDF)

CW : Puis on te propose différentes tribunes...

AV : Je me donne la tribune aussi ! Je vais aussi au procès Festina en tant qu'expert, défrayé pour ça ! Parce que j'en prends des coups ! Le milieu a tout essayé. Quelque exemples :
- Pendant le Tour, ASO fait passer une note aux journalistes en précisant qu'il fallait faire attention à ce que j'écrivais dans Libération, puisque j'étais auparavant chez Festina !
- Plus fort qu'avant, Pascal Hervé se fait offrir une tribune par Pensec dans un magazine où il s'éclate après le procès Festina, ne visant qu'à décrédibiliser ce que je peux dire.
Lettre ouverte, Pascal Hervé
- Le mieux, c'est cette plainte conjointe de JM Leblanc et de Philippe Sudres (chef des journalistes au Tour) pour mon article « A qui le tour ? », illustré par LUZ. Ils me réclament 30 000 euros de dommages et intérêts. Leblanc, joint au téléphone, me dit clairement qu'il faut que je cesse d'écrire... ce que je fais pendant un an.
- Je ne parle même pas du coup de fil « anonyme » d'Hinault qui me menace au téléphone suite à mon article sur les « ex » dans Libération.

Mais, à la relecture de ces articles, on s'aperçoit que, le premier, je suis seul à dire simplement la vérité... avec mon style, certes, mais la vérité. Y'a que la vérité qui blesse.

CW : Le récent documentaire d'Hajo Seppelt (vous pouvez retrouver la vidéo sous-titrée ici) aborde également le traitement médiatique du dopage. Et il explique notamment qu'après chaque « affaire », le sujet du dopage est régulièrement abordé. Puis progressivement l'attention médiatique retombe. Et si tu ne te bats pas, tu perds la tribune.

AV : La tribune, du moins la mienne, ce n'est pas important, mais ce milieu a besoin d'une pression permanente. J'agis comme une pression nécessaire. Cette pression est nécessaire. J'ai découvert au fur et à mesure comment le milieu fonctionnait. Je suis allé voir plein de gens après 1998, tout le monde disait que c'était fini. Un des premiers béat c'est Fottorino qui bossait au Monde et qui est allé faire son guignol au Midi Libre en écrivant chaque jour une page entière dans le journal. Quelle hypocrisie ! Bon, il remplace Jean Paul Ollivier sur le Tour 2015, il a pas tout perdu !
C'est quand même très drôle tout ça. Je préfère le prendre sur un ton assez drôle, la lutte antidopage. C'est surtout de la lutte contre l'hypocrisie générale. J'ai été aussi reçu par un autre Leblanc, conseiller de Jospin, premier ministre, rue de Varennes. Il m'a dit : « Faut qu'on te récupère ! ». A notre second RDV, il faisait ses cartons et me dit : « désolé, j'ai une carrière à faire, je m'en vais ». J'ai aussi vu le conseiller de Bachelot au ministère de la santé en charge du sport, à sa demande. Il me dit texto : « les autres (ministres) n'ont rien fait, nous on va faire quelque chose ». J'attends encore. Bachelot, comme les prochains, a valsé. Le dopage, qui est un problème que les « politiques » peuvent régler (ils ont encore quelques petits pouvoirs), ils s'en fichent comme de colin-tampon pour la plupart.



CW : Sans connaître ce qu'il se passe dans le « milieu », on peut déjà constater l'écart phénoménal qui existe entre les aveux, et le discours des médias sportifs traditionnels.

AV : C'est une hypocrisie fondamentale. Avant d'être chez Festina, j'entraînais un coureur du nom de Bouvatier. Il me disait « tu sais Antoine, tout le monde mange dans la même gamelle, donc personne ne va vouloir dire que les aliments ne sont pas bons ».

CW : C'est ce qui rend ton parcours vraiment atypique. Vous n'êtes pas nombreux à vous être élevé contre cette omerta.

AV : Mon grand avantage c'est qu'après 1998 je pouvais me mettre indépendant.

CW : Et tu avais également la chance de pouvoir retourner à ton boulot de professeur d'EPS. Tout le monde n'a pas ce plan B ! Et puis tu t'étais fait un nom dans ton domaine d'expertise, je suppose que la qualité parlait pour toi au delà de tes prises de position.

AV : Je ne sais pas. En tout cas je n'ai aucun intérêt financier dans la lutte antidopage. Des gens disent que je gagne de l'argent avec ça, tu veux rire ou quoi ?! Festina aurait pu me proposer X fois mon salaire en 1998.
Mais je ne me voyais pas travailler avec des hypocrites fondamentaux de tous bords. Surtout pas dans une équipe. Et des mecs, on peut le dire parce que ça change maintenant, vraiment bêtes. A l'époque dans le milieu du vélo, les trois-quarts des mecs de l'encadrement votaient FN. Ca aussi c'est difficile à côtoyer. Ca a évolué... quoique. (rires)

Fin de la deuxième partie

Archives :
Article sur Antoine Vayer, Cyclisme International. 1995
Excellente interview (2005) avec velochronique.com et laflammerouge.com.
Virenque et Vayer, les "V" de la Victoire !
La science du terroir
En avance
D'une seconde à l'autre
Cyclisme International. 1995
Dopage : les preuves de l'imposture

Et pour en savoir plus sur l' "affaire Festina" :