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Entretien avec Frédéric Portoleau, partie 1 (sur 3)

2015-06-10, 20:42 - Mathieu

Si vous suivez l'actualité des calculs de watts dans le cyclisme, vous avez forcément entendu parler de Frédéric Portoleau. Il a lui même mis au point une méthode de calcul indirect des puissances développées par les cyclistes. Il travaille depuis maintenant quelques années avec Antoine Vayer, permettant à ce dernier d'avoir des estimations en "watts étalon" fiables et précises pour ses articles. Leur plus récente publication commune (2013) étant le magazine "Tous Dopés ? La preuve par 21." qui a servi de base à la création de ce site internet.
Nous vous proposons une interview en 3 parties de Frédéric Portoleau, afin de revenir sur le parcours de cet ingénieur aéronautique passionné de cyclisme, et surtout de discuter de ses méthodes de calculs, ses avantages, ses pistes d'amélioration, et bien sûr du niveau de performance des coureurs lors de cette saison 2015.


PARTIE 1 : Parcours, historique, et contact avec Antoine Vayer
PARTIE 2 (publiée prochainement) : les watts ! Explications, méthodes et comparatifs
PARTIE 3 (publiée prochainement) : les performances de 2015, les évolutions technologiques



ChronosWatts : Commençons par le début : comment en es-tu venu à t'intéresser au cyclisme ?

Frédéric Portoleau : Mon premier contact avec le cyclisme a été un poster d'Eddy Merckx et Bernard Thévenet que mon instituteur avait affiché en haut de la salle de classe. J'avais 7 ou 8 ans. Et je regardais le Tour à la TV de manière épisodique. Ensuite il y a eu une étape que j'ai regardée en direct et qui m'a marqué : celle de l'Alpe d'Huez en 1977 (résumé + vidéo).
C'est Hennie Kuiper qui gagne l'étape. Van Impe était parti seul dans le col du Glandon, il avait bien 3 minutes d'avance et était virtuellement leader du classement général. Mais il s'est épuisé dans la vallée. Thévenet a courageusement roulé seul derrière lui, avec Kuiper dans la roue. Il a rattrapé Van Impe à 5km du sommet, et Kuiper l'a débordé pour gagner l'étape. Ce renversement de situation m'avait beaucoup marqué.

CW : As-tu toi-même été cycliste ?

FP : Oui, j'ai beaucoup roulé dans le massif du Jura, près de Pontarlier, côté français ou suisse. Les montées de col m'attiraient beaucoup. Je me suis inscrit deux années en « compétition » à Pontarlier, mon palmarès est très maigre ! J'avais quand même réussi à remporter un contre-la-montre en cote, mais il n'y avait pas beaucoup d'inscrits (rires).

CW : Combien de watts ?!

FP : Je ne sais pas, mais en parallèle j'étais étudiant en Sciences Physiques et j'étais très intéressé par la notion de watts associés au cyclisme. J'avais mis au point mes premières formules avec une première référence : « le guide du vélo en montagne - Altigraph ». Je faisais des évaluations en watts sur mes propres montées autour de chez moi. Au mieux j'arrivais à tenir 350 watts (pour 65 kg) pendant 10 minutes, ou 320 watts pendant 20 minutes.



CW : Tu développes donc ta propre méthode à partir des théories découvertes dans différents ouvrages, et tu vas ensuite l'affiner pendant de nombreuses années ?

FP : Tout à fait. J'ai aussi comparé en parallèle mes performances avec les professionnels. Dans les années 80 les pros développaient en moyenne 30% de plus que moi. Ils étaient plus entraînés, plus doués physiquement, plus motivés en courses, ce qui me permettait de comprendre cet écart, c'était logique !
Et puis j'ai commencé à regarder ce qu'ils faisaient au Tour de France. J'ai vraiment pu constater qu'un palier avait été franchi dans les performances au début des années 90. L'étape de l'Alpe d'Huez en 91 m'a particulièrement impressionné, quand le record de Luis Herrera a été explosé ! Il y avait Indurain, Leblanc, et Bugno qui gagne l'étape. Ils font un temps canon ! J'ai commencé à me poser des questions. C'était la première fois qu'on voyait un coureur aussi lourd (Indurain, 80 kg) être aussi à l'aise en haute montagne.



Les performances ont continué d'augmenter tous les ans jusqu'en 95-96. Les premiers contrôles sanguins de 97 ont fait stagner les performances. Et puis ensuite il y a eu les premières détections de l'EPO (2000 : lien vers l'AMA), et la mise en place du passeport sanguin qui a quand même bridé les performances (2008, et améliorations en 2010). Mais les pratiques de dopage sanguin se poursuivaient à cette époque là, comme nous l'a appris l'affaire Armstrong.


Voir la page complète du magazine "Tous Dopés ?"


CW : Tu n'as pas encore rencontré Antoine Vayer à cette époque. Comment analyses-tu l'augmentation constante du niveau de performance ?

FP : Il y a quand même des articles qui paraissent quelque temps après le Tour, vers Janvier. En janvier 1997, un dossier complet a été publié dans l'Equipe avec notamment une interview de Sandro Donati auteur d'un dossier très complet sur l'état du dopage dans le sport et le cyclisme. Je me souviens aussi d'une interview de Gilles Delion (l'article complet et hallucinant de 1997 ici).

Je commence à me poser des questions. Et les coureurs ne semblaient pas fatigués ! Par exemple en 94 Ugrumov réalisa une traversée des Alpes sensationnelle, en étant échappé quasiment tous les jours, et en faisant un temps canon sur le contre-la-montre d'Avoriaz ! Il finit 2ème du Tour. C'est la même année que son équipe Gewiss fait le triplé à la Flèche Wallonne. (article sur Gewiss, le Dr Ferrari et l'EPO/jus-d'orange) Il y avait aussi Riis sur le grand plateau lors du dernier kilomètre de la montée d'Hautacam en 1996. Il avait une force ! D'ailleurs en mai 1997, il affirma lui-même avoir produit 7w/kg (lien).



CW : Ton contact avec Antoine Vayer se fait quelques années plus tard. Il te contacte lorsque tu publies un article dans Sport & Vie, c'est bien ça ?

FP : Oui, je leur ai proposé mes estimations de puissance en 2000. Ce sont eux qui ont écrit l'article, avec mon nom. Je les remercie en passant. A la suite de cet article, Antoine m'a contacté, je ne le connaissais pas du tout, et il souhaitait travailler avec moi. J'ai accepté de l'aider dans son "combat".

Vous pouvez retrouver l'intégralité de l'article ici : partie 1, 2, 3 et 4

Antoine travaillait avec Le Monde en 1999, et après il est passé chez Libération. Il m'a proposé de faire des calculs pour illustrer et mettre en valeur ses chroniques.
Et bien sûr il m'a aidé à affiner mes calculs, notamment en me prêtant un SRM. J'ai tout d'abord pu améliorer la méthode sur mon propre vélo. Et ensuite on a mené une expérience grandeur nature en 2004 avec d'autres personnes. Il y avait 25 coureurs équipés de SRM et on a fait des statistiques sur les évaluations de puissance, près de Montpellier. Je remercie en passant les gens qui sont venus nous aider ! Il y avait beaucoup de données et beaucoup de mesures en seulement 2 jours, ce qui n'était pas optimal. Mais c'était déjà pas mal pour une première étude. Quelques mois plus tard on a mené une seconde expérience à l'Alpe d'Huez, avec moins de coureurs mais plus de contrôles sur les capteurs, les coureurs, et le vent. Et cette fois-ci on a obtenu de meilleurs résultats, bien plus précis (surtout pour des conditions "sans vent").

CW : Vous avez ainsi continué en binôme et publié sous diverses manières vos travaux...

FP : Oui, il y a eu d'abord le petit livre « Pouvez-vous gagner le tour ? » en 2001. Avec des premières statistiques sur le Tour de France. Et une 2ème partie dédiée à l'entraînement cycliste, axée entre autres sur la maîtrise de la puissance.
L'année précédente, Antoine avait également proposé ce petit manuel : « la pleine puissance en cyclisme ». Et ensuite en 2013 il y a eu le magazine « Tous Dopés ? La preuve par 21 » dont il est beaucoup question sur le site chronoswatts.com


La bibliothèque de Frédéric Portoleau, cartes IGN et littérature anti-dopage


A propos de Sandro Donati, vous pouvez lire la la double-page qu'il a écrite pour le magazine "Tous Dopés ?".

Toute l'interview d'Antoine Vayer réalisée par Chronoswatts.com est accessible ici : partie 1, 2, 3 et 4.