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[TdF21#07] « Le public s'en fout » et « on ne veut pas le savoir ». Avec la participation d'Olivier Haralambon

29-06-2021, 23:14 - Antoine Vayer et Olivier Haralambon

L'honneur retrouvé du cycliste Jérôme Chiotti, dopé repenti en activité.

Cet épisode restera dans l'anthologie du sport. Mercredi 24 mai 2000, le champion français de VTT Jérôme Chiotti, que j'entraînais, a remis au Suisse Thomas Frischknecht, son dauphin, le maillot arc-en-ciel et la médaille d'or des championnats du monde de VTT cross-country 1996. Il estimait avoir usurpé ce bien quatre années auparavant en se dopant, EPO, hormones, corticoïdes, testostérone, etc. Il a tout utilisé, comme c'est encore possible en 2021, en prenant certes un peu plus de précautions. Il exhibe son contrôle antidopage négatif de l'Union Cycliste International qui le félicitait, à qui veut le voir. De son plein gré, alors que personne ne lui demandait rien, Jérôme s'est confié au magazine Vélo Vert et a tout déballé, alors qu'il est champion de France. Cette restitution émouvante et non dépourvue de courage, nous l'avions organisée dans une modeste salle d'un hôtel de Rosny-sous-Bois, situé en face du siège de la Fédération française de cyclisme (FFC). Après lui, aucun autre coureur en activité champion du monde VTT, de Route ou de cyclo-cross, ni d'un autre sport d'ailleurs, n'a souhaité rendre ses trophées, même à posteriori après leur fin de carrière. Et pourtant, la plupart pourraient le faire à notre époque, croyez-moi ...

Avant que ne soit écrit « De mon plein gré » le livre de Jérôme, j'ai rencontré le président de la FFC, au siège, dans son bureau. Il pose un enregistreur sur la table. Il a peur je pense. Il se couvre. Il a été traumatisé en 1998, malgré la médaille de la remise en 1999 par Marie-Georges Buffet, alors ministre des sports. Il a été mis en examen dans l'affaire Festina, puis a bénéficié d'un non-lieu. Nous parlons dopage. Je lui dis de ne pas s'inquiéter, que dans le livre, Jérôme ne parlera pas de certains membres de la FFC, ni de ses partenaires. On parle des gens. Il me dit que pour les Festina, « les gens » ne leur en veulent pas. Je lui parle d'Armstrong et que le dopage est reparti à vitesse grand « V ». Et il me lâche :

_ « Vous savez, les gens s'en foutent ! »

C'est la première fois qu'ouvertement un responsable me dit cette phrase.

_ « Et vous ? »

Il ne répond pas. Il a l'air de s'accommoder de la situation, du moins a compris que le dopage est érigé en système qui ne sera plus le sien. Qui tacet consentire videtur, « qui se tait semble consentir ». Il mettra fin à ses fonctions de président en 2001. Il est un homme d'affaires, maintenant le directeur général du Crédit Mutuel Alliance Fédérale.



Je l'ai revu en 2013, à Paris, à Montparnasse, après que nous ayons créé à Londres avec certains de mes amis le mouvement « Change Cycling Now ». L'objectif était de changer de président de l'Union Cycliste Internationale, pour que les choses évoluent. Nous avons aidé Brian Cookson à être élu. Les choses n'ont pas bougé. Les élus, qui suivent vox populi s'en foutent, puisque les gens s'en foutraient.

A cet argument « les gens s'en foutent » que l'on peut constater sur le bord des routes, même si « les gens ne sont pas dupes », s'en ajoute un second, plus puissant. Il explique que certains coureurs peuvent, impunément, continuer de tricher, couvert par les institutions.

C'est le : « On ne veut pas savoir ».

Posez ouvertement la question de la tricherie éventuelle des coureurs qu'ils regardent ou apprécient, à certains passionnés de cyclisme, à beaucoup de journalistes, où même au grand public. Si vous insistez avec des arguments, ils se crisperont et vous répondront : « on ne veut pas savoir ». Fermez le ban. Il ne faut pas gâcher la fête.

Cet état de fait m'interroge. Il permet de laisser le pouvoir au malsain. Seuls les politiques et les ceux qui dirigent les institutions pourraient remédier au problème et permettre de garantir une bonne probité d'un sport toujours promis aux tricheurs en ce qui concerne les lauriers. Même si les gens ne veulent pas le savoir et s'en foutent.

On ne peut pas en vouloir aux gens. Aux dirigeants, si.

Oui mais voilà, beaucoup sont des jean-foutre.



Pour essayer de comprendre le phénomène du « Le public s'en fout » et « on ne veut pas le savoir ». J'ai posé le problème à Olivier HARALAMBON, journaliste, philosophe, ancien coureur cycliste, auteur notamment de l'ouvrage « Le coureur et son ombre » (Premier Parallèle) en 2017. Voici sa contribution :

Le dopage, il faut savoir s'en foutre pour regarder.

Comme l'entrainement, le dopage s'inscrit dans la logique du corps objectif, du corps considéré comme un objet de connaissance ou, encore – un objet posé dans l'espace. Or, mon corps a deux facettes : il est à la fois cet objet posé dans l'espace (je le vois, je le touche), mais il est avant tout cet ensemble de signification vécues de l'intérieur, ce lieu indécomposable que je connais sans distance (les yeux fermés).

On peut choisir, en tant que spectateur, de voir à travers le corps matériel du coureur, pour ne s'intéresser qu'à ses pouvoirs esthétiques. Je pense souvent à la statue de Giacometti, L'Homme qui marche : ce qui est représenté n'est pas un corps en action, mais la Marche elle-même, le geste ou le mouvement « essentialisé ».

C'est comme ça que je regarde les courses cyclistes, je cherche une sorte de vision, je cherche à dégager le noyau essentiel du geste, celui que les circonstances n'atteignent pas. C'est une façon de préserver mon plaisir : je guette quelque chose qui n'est pas tout à fait sous mes yeux. Voir, c'est toujours-déjà, toujours-aussi, imaginer. Le dopage, c'est un problème crucial.

Mais il faut réserver ça pour les discussions plus techniques, sinon il n'y a plus moyen de regarder le vélo : d'abord, rigoureusement parlant, c'est une question indébrouillable (où, ça commence, etc. : les cétones en sont un bon exemple, le dopage n'a pas de frontière assignable), et surtout : on ne sait jamais (sauf contrôle avéré) ce que les coureurs ont pris, ou pas.

Cette suspicion est invivable pour l'œil du spectateur.

Olivier Haralambon