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[BLOG-FESTINABOY#3] La bomba ou la 4G ?

2020-09-08, 21:25 - Antoine Vayer

Mardi dernier, 5h du matin. Je reçois une vidéo de la part d'un membre d'une équipe adverse de Deuceninck-Quick Step. Le directeur sportif Davide Bramati « fait les poches » arrières du jeune Belge, Remco Evenepoel, allongé au sol après une chute de huit mètres dans un ravin sur le final du Tour de Lombardie. Il ne sait pas qu'il est filmé. Je pense à un roman noir que j'avais ébauché en 2007 après une rencontre avec Jean Bernard Pouy, écrivain Parisien. Il commence par une chute mortelle, inspirée de celle d'un de mes anciens poulains, le cycliste Andrei Kivilev, en 2003.

Son entraineur est le premier sur place. Prestement, avec le même geste que Bramati, plutôt que s'occuper de lui, il essaie de cacher dans sa poche un flacon qu'il ramasse. Un journaliste le surprend. Le roman commence. 6h55. Je tweete la vidéo en posant la question à Bramati : « C'est quoi que vous lui piquez ainsi ? ».

Le tweet est vu, commenté plus de 200 000 fois ! L'Union Cycliste ouvre une enquête. Interrogé par le Corriere della Sera, Bramati ne répond pas puis dit : « Je ne me souviens pas. Peut-être que j'ai enlevé les barres, peut-être les gels, peut-être la radio ». Il ment. Son omnipotent manager Lefevère vient à la rescousse. Il parle de ce qui serait une « topette », un mini bidon pour les fins de course contenant notamment de la caféine.



Certains coureurs m'ont confié que dans cette équipe, cela s'appelait la « bomba ». On peut penser que c'est un modem 4G. C'est interdit. Un système existe maintenant qui peut collecter de multiples informations utiles sur une foultitude de données des compteurs des adversaires, en temps réel. Dés 1994, pour gagner sa première étape au Tour, Richard Virenque avait jeté un oeil sur le gros cardiofréquencemètre fixé sur le guidon de son dernier opposant Cubino : « J'ai vu qu'il était à 192 pulsations/minute. J'ai su qu'il était en surrégime et je suis parti ».

Depuis les outils embarqués miniaturisés ont évolué. On peut espionner en live fréquence cardiaque, watts, cadence de pédalage et même la glycémie de certains adversaires s'ils sont équipés de bracelets ou de patchs qui transmettent leur taux par onde radio à courte distance à leur compteur. On sait combien de temps un adversaire peut tenir et ainsi gérer ses efforts. Virenque, précurseur en tous types de triche ?



On est samedi. Il est 14h, le Tour s'élance. Je pense à un autre écrivain visionnaire. Maurice G. Dantec en 1999, publiait une fiction, « Babylon Babies ». Il anticipait 2017 en parlant d'un guerrier mercenaire à la solde de la mafia qui possédait une trousse médicale comprenant des boîtes de méta-amphétamines de pointe, patches transcutanés, capsules auto-injectables, comprimés, chacune d'entre eux répondant à une fonction bien précise, renforcement de l'activité sensorielle, ou motrice, lutte contre la fatigue, oxygénation, taux de globules rouges, tonus mémoriel, capacité de traitement de l'information. « Plus fort qu'un peloton cycliste du Tour de France » blaguait-il, «la guerre est une science qui ne permet aucune erreur ».

Nous sommes en guerre, les coureurs aussi à Nice. Je pense au Marseillais Jean Claude Izzo, autre auteur de romans noirs, qui écrivait : « L'histoire emprunte forcément les chemins du réel. C'est bien là que tout se joue, dans la réalité, et l'horreur dans la réalité dépasse - et de loin - toutes les fictions possibles ». Le cyclisme, passion faite profession, toujours à mi-distance entre tragédie et lumière, se fait, comme il se doit, l'écho de ce qui nous menace avec cette affaire Remco Evenepoel et ce Tour 2020.

Antoine Vayer