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[TdF21#11] Stages en Altitude, pour s'améliorer ou pour se doper ?

2021-07-06, 23:04 - Antoine Vayer

Bernard Hinault m'a accusé de doper Christophe Bassons et « mes coureurs » en 1999. À cette époque j'avais créé ma société « ACM20 » (du nom d'un produit d'acides aminés) qui signifiait AlternatiV-Coaching-Management- vers 2000. Après 1998, malgré une énorme proposition financière pour rester chez Festina, j'ai quitté la structure et rompu mon contrat. J'ai entraîné de manière indépendante et alternative (règle : ne plus se doper ou ne pas se doper) une quinzaine de cyclistes professionnels. Certains m'ont cocufié et ont continué de se doper quand même. D'autres ont joué le jeu.



En pionnier, j'ai envoyé pour un stage en hypoxie dans un établissement spécialisé Christophe Bassons qui ne s'est jamais dopé, le défunt Andreï Kivilev, 4ème du tour de France 2001, qui s'est toujours dopé, mort sur Paris-Nice pendant l'étape qui le menait presque chez lui à Saint-Étienne (sa chute mortelle a fait que le casque est devenu ensuite obligatoire) et Laurent Madouas, le père de Valentin présent sur le Tour 2021. Laurent, un peu claustrophobe n'a pas du tout supporté le fait de vivre dans un environnement d'une pièce, avec une pression d'air raréfiée. Il a dormi dans le couloir ! Christophe et Andreï on vu certaines de leurs valeurs sanguines (hématocrite et hémoglobine) augmenter, mais légèrement. Ce sont plus les conditions de stage mises en place qui avait eu un bon effet selon moi.


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Ceci dit, tant Bassons que Madouas (qui n'avait pas fait d'hypoxie) ont gagné une étape du Dauphiné Libéré en Juin. Bassons la dernière étape à Aix les Bains devant Lance Armstrong et Madouas deux jours avant à Grenoble avant, devant un autre coureur de mon groupe ACM20, Lylian Lebreton (directeur sportif au Team Total Direct Energie ) qui s'était entraîné en plaine! Le Dauphiné avait été remporté par Alexandre Vinokourov, que je côtoyais puisqu'il était ami avec Kivilev, Stéphane Heulot avait terminé 4ème, Armstrong 8ème, Kivilev 41ème. Je me disais que le Renouveau était bien là et que je devais être un sacré entraîneur grâce à mes méthodes « alternatives » à l'EPO, dont l'entraînement en hypoxie.



Et puis, Lance avec son équipe a continué l'EPO, les corticoïdes, les hormones, la testostérone, etc. tout l'accompagnement. Il a écrasé exactement la course comme Pogacar écrase le Tour cette année en faisant un contre-la-montre hallucinant à Metz suivi d'une montée tout aussi hallucinante à Sestrières. Il existe un mimétisme absolument fascinant entre Armsacar et Pogastrong, dans les faits et dans les performances. Il avait dit à Jean-Cyril Robin, 21ème du Dauphiné : « vous êtes cons les Français d'avoir arrêté... ». Bassons s'est exprimé sur le Tour de 1999 en se mettant à dos tout le milieu ... et pas qu'Armstrong, Hinault compris l'a accusé de se doper puisque « Vayer l'a envoyé en hypoxie, etc... ».

Le stagiaire

Résumons, entre 1995 et 1999 :
1/ j'ai été le 1er pionnier entraîneur diplômé (et le seul un bon moment, je suis aussi professeur EPS ) de ce milieu cycliste professionnel embauché en tant que tel.
2/ J'ai été le 1er pionnier à faire utiliser systématiquement des capteurs de puissance SRM à des coureurs.
3/ J'ai été le 1er pionnier à faire utiliser l'hypoxie à des coureurs.

En 2021
1/ les entraîneurs diplômés sont plusieurs par équipes parfois hélas sous la tutelle de « physiologistes » ou médecins.
2/ tous les athlètes utilisent des capteurs de puissance et ne jurent que par les watts pour lesquels j'ai été voué aux gémonies pas mal d'années.
3/ tous les cyclistes font des stages en altitude ou en hypoxie, systématiquement.

C'est au point où Romain Bardet, friand d'altitude, a été affectueusement appelé « le stagiaire » par ses coéquipiers. Depuis dix ans que la mode est apparue, avec tous les stages, certains ont passé physiquement presque une année à plus de 2000 mètres en hypoxie, là où la quantité d'oxygène apportée au sang paraît insuffisante. Mais pourquoi donc ? Faisons le point.

« Où ? »

Les spots sont la Sierra Nevada à 2350m au centre national du sport, sur l'Etna en Sicile à 1950m au refuge de Sapienza, dans les Alpes au col du Lautaret à 2000m à l'hôtel des Glaciers, à la station de Tignes 2100m, à Isola 2000, à Sestrières à 2035m, à Tenerife près du mont Teide rendu célèbre par l'équipe Sky. Cela peut aussi se faire dans les Pyrénées à Font Romeu, à 1850m près du centre d'entraînement et d'expertise de la performance de haut-niveau en altitude. Il a été créé spécialement sous de Gaulle pour préparer les JO de Mexico de 1968 et adapter les athlètes qui n'avaient ramené qu'une seule médaille d'or des JO en 1964... en équitation. L'HYPOXIE c'est aussi vécu dans des tentes ou bien dans des centres comme celui de Prémanon dans le Jura à 1100m. Ils ont maintenant un bâtiment complet du centre national de ski de fond et de moyenne montagne, avec chambres et cuisine-salon, où on peut moduler l'altitude que l'on souhaite, selon le suivi et les stress hypoxiques individuels qu'on souhaite faire subir. C'est à la carte. Ce n'est plus uniquement du confinement dans une chambre ou sous une tente, que beaucoup de coureurs possèdent chez eux. Le principe c'est de vivre, dormir et profiter de l'hypoxie dans toutes les phases de la vie courante et s'entraîner en parallèle à moins de 1000m si possible, sauf pour quelques séances spécifiques. J'ai entraîné Laurence Leboucher une bonne partie de sa carrière au sein d'ACM20. Elle a été championne du monde de VTT et de cyclo-cross dans sa carrière. Elle a été une des premières athlètes à investir à l'époque dans une installation pour reproduire de l'hypoxie dans sa chambre. Cela ne l'a pas empêché de « jouer ».

« Coupures » avec teneur en oxygène sous 18%

La méthode du « sleeping high – training low », (dormir en haut - s'entraîner en bas) a changé. On dit maintenant « living high - training low », (vivre en haut - s'entraîner en bas), sauf que dans la réalité on s'entraîne parfois high, ne serait-ce que pour grimper à l'hôtel au retour de l'entraînement des vallées ! L'idéal c'est de rester deux semaines, voire beaucoup plus... Wout Van Aert n'a pas couru, a fait une « coupure » pendant 55 jours avant le Tour de France pour se rendre en altitude, Primoz Roglic 61 jours, Pogacar 45 jours ! Le minimum c'est 10 jours... Il faut respecter trois phases. Une première d'acclimatation car la physiologie est mise à mal au départ. Avec trop de volumes et intensités de travail dès l'arrivée, l'organisme n'a pas l'énergie suffisante ensuite pour créer des globules rouges notamment, ce qui est une des adaptations visées. Trop de stress hypoxique et global au début bloque la machine. Il ne faut pas créer l'inverse de l'effet recherché. Certains coureurs comme Laurent Madouas ne supportent pas, ni physiquement, ni psychologiquement. Deuxième phase, acclimaté, c'est entraînement « normal » au stage, avec des vallées entre les cols. Puis au retour en plaine, c'est la troisième phase de réadaptation à la NORMOXIE : quand la teneur de l'air inhalé en oxygène est vers 20% et pas sous 18%. Immédiatement de retour au niveau de la mer, la « littérature » disait 10-15 jours tranquilles avant un plateau de forme d'un mois. Non : si on met une compétition d'un jour au bout de 72h, c'est souvent bingo à J+3. Il existe un vrai pic de forme qu'on peut programmer immédiatement à la redescente avec un contenu réfléchi pour ce but. Après, les sensations biomécaniques sont légèrement perturbées jusqu'à J+10. Ensuite le plateau de forme long selon la durée des stages existe bel et bien pendant trois à quatre semaines.

Que font les coureurs là haut ?

L'acclimatation c'est un bloc de 3 à 4 jours. Arrivé sur place c'est décontraction, endurance stricte sans gros volume, moindre que d'habitude, avec des sorties inférieures à trois heures. Après s'être acclimaté tranquillement, c'est selon les besoins mais beaucoup commencent la force sous maximale et les entraînements classiques, plutôt dans les vallées où aux pieds de cols pour les intensités. Sont aussi faits en haute altitude quelques répétitions de sprints en hypoxie, genre de petits blocs entre 4 à 8 X (10 secondes de sprint / 50 secondes de récupération). Cela améliore la V02max. Cela crée du stress musculaire sans trop taper dans l'énergétique et la glycolyse, car les demandes en sucre du corps sont supérieures en altitude. Les fringales ne sont pas rares. Il faut vraiment s'alimenter et surtout boire (beaucoup) plus en haut des montagnes. Le contenu général c'est soit pour un objectif après le stage avec de l'intensif, ou bien pour faire simplement une grosse base aérobie. Dans ce cas, au retour en plaine, les coureurs bossent fort et intense. Attention, l'altitude c'est le terrain de jeu des grimpeurs, que beaucoup connaissent peu et n'apprécient pas forcément ! C'est dur. Les lacets à 8% et l'altitude sont deux milieux qui peuvent être hostiles et pour lesquels il faut s‘adapter en restant humble.

Plus de globules et plus d'hémoglobine pour moins de watts

Certains coureurs se ratent en faisant de l'hypoxie. Ceux qui pédalent trop fort et trop long d'entrée. Il faut aussi un bon timing selon les objectifs. Plusieurs stages, aux bons moments avec les bons contenus sont placés et certains servent des courses comme charges d'entraînement. De moins en moins... On a observé aussi qu'il ne fallait pas être carencé en fer en arrivant. Si on veut que l'hémoglobine augmente, il faut du fer. Si on en manque dans l'organisme, on peut ressortir vraiment carencé du stage, anémié et plus fatigué qu'en arrivant ! Certaines recommandations disent de supplémenter avec une cure de fer avant, pendant et encore après un stage pour éviter cela. Les coureurs sont constamment sous analyses de sang... Il se passe plein d'adaptations au niveau global mais aussi « local », du muscle, qui visent à une optimisation de l'utilisation et transport de l'oxygène par la cellule. Cela ne se mesure pas directement avec des appareils, sauf... dans la performance. Même les résultats de mesure d'hématocrite dépendent du niveau d'hydratation. Un bon stage c'est plus de globules rouges après et une meilleure hémoglobine. Cela s'évalue dans les sensations de puissance après sur le terrain. Un point central pour que cela fonctionne dans le suivi physiologique c'est la surveillance de l'hydratation : il faut boire environ 1,5 litres de plus que d'habitude par jour ! C'est beaucoup. Par réfractométrie, la densité urinaire est contrôlée tous les matins. Il y a plus simple : toujours « pisser blanc » ! C'est le but du jeu, sauf si vous mangez des betteraves pour la colorimétrie. Il faut aussi avaler plus de glucides. Parce que vous montez des cols mais aussi parce qu'à 2000m, le rythme cardiaque est franchement accéléré, c'est 10 à 15 pulsations de plus qu'en plaine. On consomme donc plus au niveau métabolisme de base. C'est pour cela aussi qu'il faut travailler avec les fréquences cardiaques (fc) en altitude plutôt qu'avec les watts. Sinon le coureur se met dans le rouge et dépasse ses zones d'entraînement habituelles ! Les coureurs développent moins de watts en altitude. Il regardent la réponse de l'organisme, le coeur, plus que la réponse mécanique, le watt. Un bon athlète sait coupler les deux notions et se rend compte des dérèglements dûs à l'hypoxie.

Stresssss

Il existe plusieurs stress. Il y a moins de pression atmosphérique en altitude. L'air et l'oxygène respirés au niveau des poumons doit passer dans le sang par les parois des alvéoles. Moins de pression : cela passe moins bien. La saturation partielle en oxygène avec un oxymètre est suivie comme à l'hôpital au bout du doigt. Au niveau de la mer les coureurs sont à 97-98% de saturation, le sang est bien rempli d'oxygène. En altitude, c'est moins de pression atmosphérique et en plus les gaz s'épandent plus dans l'air, c'est le deuxième « stress » ! Il y a moins d'oxygène transférable au sang dans les cinq litres que les athlètes respirent de « capacité respiratoire » qu'en plaine. Quand ils arrivent en stage la saturation partielle d'oxygène chute de manière nette, vers 88-90%. Ils ventilent plus, la fréquence cardiaque augmente. Ces stress sont recherchés pour des adaptations. Sous tente hypoxique, le stress barométrique de pression n'existe pas dans l'air ambiant. Elle est réglée à 2500m pour avoir l'équivalent de 2000m dans la vraie altitude. Après quelques jours, les athlètes se stabilisent vers 91%. Au dessus de 2000m, au début, ils peuvent avoir des petits maux de tête, des points bizarres sur la poitrine. C'est normal. Ce sont les stress dûs à cette perte de 7 à 8% d'apport en oxygène dans le sang, même si l'air n'est jamais pauvre en oxygène ! Le : « Il manque d'air ou d'oxygène » du commentateur de base est une bêtise. Il passe juste moins bien à cause de la moindre pression et dans le même volume inspiré le coureur en a moins, tout comme d'azote ou de gaz rares. Il faudrait qu'il ventile 6 litres ! Avoir une bonne capacité respiratoire, c'est mieux. Les bons coureurs ont de bons poumons. Les sensations « bizarres » passent au bout de quelques jours normalement. Côté nutrition, en plus de cet apport hydrique plus conséquent essentiel à avoir et pisser blanc, d'une favorisation des glucides et d'aliments dotés en fer, il existe une baisse du « pouvoir tampon » au niveau des déchets, les fameux lactates. En altitude, les athlètes ont plus vite mal aux jambes, cela « brûle plus ». On peut lire qu'il faudrait prendre des antioxydants (levure de bière, compléments alimentaires). Ce sont des arguments purement commerciaux. Il faut laisser faire pour les adaptations. C'est comme si les coureurs mettaient un masque à oxygène là-haut. Pourquoi alors s'y rendre ? Ce troisième stress dit « oxydatif », il faut le laisser faire, ne pas lutter contre. Ce qui est préconisé, c'est d'éviter la zone lactique d'efforts durs en altitude, de ne pas faire d'efforts violents longtemps à plus de 1500m.

Les loser winner

Jean Chistophe Péraud qui a pourtant terminé 2ème du Tour de France ne supportait pas les stages en altitude. Il avait naturellement un taux d'hématocrite supérieur à 50. Certains athlètes n'arrivent pas à remonter leur saturation en oxygène au dessus de 90%. Elle chute tout le temps jusqu'à 87% sans remonter. Plus cela va, moins ils récupèrent. Pour eux, pas de stage, c'est déconseillé. Dans les cols à plus de 2000m en course, ils sont moins bons même si ce sont de purs grimpeurs. Il existe ce cap « 2000m » que certains, pas beaucoup, ne tolèrent pas. Il faut essayer pour le savoir en faisant un bon suivi lié à ses sensations pendant et après. Après, les étapes avec cols à plus de 1800m, cela ne court pas les rues, sur ce Tour de France, elles sont quasi inexistantes. Le Mont Ventoux est à 1912 mètres d'altitude. LE grand principe des stages en hypoxie pour ceux qui ne se dopent pas c'est « dès qu'on est là-haut, on pédale et on vit tranquille ». Le travail spécifique, intensif c'est plutôt en bas des cols pour que le coeur ne batte pas la chamade. L'exception ce sont de courtes séances spécifiques pour des mini sprints courts et le plus haut possible, même à 3000m, une ou deux fois par stage où on cherche l'altitude pour faire cela en haut de la station. La visée dans ce cas c'est l'adaptation locale au niveau du muscle pour cette optimisation de l'utilisation de l'oxygène.

Le lieu privilégié pour se doper en vue des épreuves

Toutes ces considérations valent pour ceux qui, séduits par certains exemples, ne se dopent pas. Beaucoup passent au travers des précautions et tâtonnent. D'autres, par contre, ne vont pas seulement en hypoxie et en altitude seulement pour des bienfaits naturels. Les instances antidopage ont beaucoup plus de mal, quand elles viennent, pour relever des échantillons « là-haut ». Ne parlons même pas de la Colombie à 3500 mètres... Les variations d'hémoglobine, de réticulocytes, d'hématocrite sont naturelles. Aussi, on peut difficilement légalement attaquer un coureur pour des variations de son passeport biologique lorsqu'il revient d'un stage en hypoxie. Là-haut, certains se prélèvent et s'injectent des poches de sang idéales, séparent ou pas le plasma des globules rouges, aussi pour des réinjections en plaine, quand il faut, comme il faut. Le sang réinjecté reste un dopage fabuleux, tout comme d'autres produits qui « passent » aux contrôles (passer = être indétectables). Les coureurs dopés peuvent subir des dizaines de contrôles, ils seront tous négatifs. Ils gèrent avec leur encadrement médical ou paramédical qui constamment les contrôle. Le travail en altitude est comme le dopage. Un moment préparatoire à la compétition, où tout se joue, où les contrôleurs antidopage sont absents.

Bernard Hinault avait peut-être raison, mais pour certains seulement.

Ce qui est sûr, c'est que l'encadrement du cycliste avec l'altitude se médicalise de plus en plus pour être maîtrisé. L'altitude est aussi un faire-valoir. C'est le cas pour cet intriguant Inigo San Milan qui a écrit des publications avec son confrère, le Docteur Sabino Padilla de Miguel Indurain, omniprésent pour vanter les mérites de son poulain Pogacar. Il avait écrit à un des mes amis l'an passé qui m'a transmis sa correspondance avant qu'il ne soit bloqué après quelques contradictions. Inigo se froisse rapidement. Mon ami lui avait gentiment demandé quelques fichiers de datas de puissance. Voir la correspondance.

S'entraîner en hypoxie, en altitude est soit une alternative, soit une erreur, soit un prétexte. Que choisir ?

Antoine Vayer