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Entretien avec Antoine Vayer. Partie 1.

30-01-2015, 13:23 - Mathieu

Nous avons profité de la coupure hivernale pour réaliser un entretien avec Antoine Vayer. Le personnage public d'A. Vayer est aujourd'hui connu et reconnu dans le monde du sport en général, dans la lutte antidopage et les calculs de puissance pour le cyclisme en particulier.
Notre site, chronoswatts.com, a été créé en s'appuyant directement sur ses chroniques et les travaux de Frédéric Portoleau.
Nous vous proposons aujourd'hui cet entretien, qui sera publié en quatre chapitres au cours des prochaines semaines. Il vous permettra de mieux connaître son parcours atypique, ainsi que son métier d'entraîneur cycliste pour lequel il a fait partie des pionniers et des inventeurs. Au programme de ce premier chapitre : ses débuts, sa carrière d'entraîneur indépendant. A venir : l'"affaire Festina", les médias, les Watts, les perfs de 2014, l'UCI, le CCN, et bien d'autres choses encore...

Antoine Vayer est né le 18 novembre 1962 en Mayenne. « Mais tu peux dire Breton, j'ai de nombreuses racines bretonnes ».



ChronosWatts : Tout d'abord je souhaiterais en savoir un peu plus sur ce qui t'a amené vers le vélo. Est-ce que tu regardais le Tour étant jeune ? Quels sont les cyclistes et les courses qui t'ont le plus marqué ?

Antoine Vayer : Lorsque j'avais 13-14 ans à Concarneau en Bretagne, l'été, je faisais des reportages de « reporter » sur des copies doubles cartonnées. Sur la Coupe du monde de Football, et sur le Tour de France qui me fascinait, parce que je le regardais à la TV. J'ai des souvenirs de Lopez Carril, Fuente, Eddy Merckx, Thévenet, etc. Tous les jours je découpais les articles de journaux et je faisais mon propre article, il y avait pas mal de fautes d'orthographe ! J'ai fait aussi un dossier sur les JO à 12-13 ans. Je jouais au football et au rugby à cette époque.

Le premier champion qui m'a marqué, c'est d'abord Eddy Merckx. Je me rongeais les ongles quand il était absent à l'avant du peloton et qu'on ne le voyait plus à la télé ... Et puis après en cadets, c'était Bernard Hinault. Une course m'a vraiment marqué et m'a donné envie de faire du vélo, celle où Bernard Hinault tombe dans le Col de Porte, au Dauphiné Libéré. Comme pas mal de gens, quoi. Une scène et un scénario déments pour un ado.


8 juillet 1977, Col de Porte


Ma jeunesse, je l'ai passée dans un village en Mayenne (3 bovins par habitant), à Pré en Pail, au pied du mont des Avaloirs, le point culminant de l'Ouest (417m...). Mes parents étaient communistes. Il y avait un club de vélo cyclo-sportif dans le village, mais il était « catho ». J'ai dû me « battre » avec mes parents pour pouvoir aller faire des sorties avec eux le dimanche matin ! Dès que j'avais 14-15 ans, j'ai fait des sorties de 100-120 bornes, je faisais tout à fond. J'arrivais une heure avant les copains.
Je jouais au foot également. Mon équipe s'était qualifiée pour un championnat de France « foot scolaire », mais j'ai préféré aller faire un championnat académique de vélo, où je n'ai été battu que par Thierry Marie. Je suis de la génération des Thierry Marie, Vincent Barteau, Yvon Madiot avec qui je courais chaque dimanche. Barteau gagnait tout, Marie était une force de la nature. J'ai commencé en cadet 2. Dès les années juniors j'ai gagné quelques courses, et très vite j'ai couru avec des anglais qui venaient au club d'Alençon pour réussir le championnat d'Angleterre. Il y avait Watson, Westburry ... Je n'ai couru qu'avec des anglais, dans mes clubs. Après je suis allé dans un autre club, à Montivilliers près du Havre, où j'ai aussi couru avec beaucoup d'Anglais les classiques. L'ACBB et Persan étaient les viviers des autres british cotoyés. Je me rappelle de Branton WILD. Aujourd'hui j'entraine son fils qui est en STAPS. Ma mère était institutrice et avait comme collègue un mec qui s'appelait Tesnière. Son frère était pro et courait avec Merckx, dans l'équipe Fiat. J'ai acheté à Philippe Tesniere un de ses vélos de pro, avec lequel j'ai couru assez longtemps. Philippe est mort d'un cancer à 34 ans, il m'avait raconté pas mal de choses sur sa carrière. Une rencontre très marquante.

CW : Comment se déroule ta carrière de coureur ?

AV : Tout d'abord, avant mes 18 ans, je suis un peu en allé en fac de médecine à Rennes. Mais j'ai bien vu que je voulais faire du vélo. Il y avait une université à Bordeaux qui offrait la possibilité d'être prof d'EPS tout en étant cycliste et en passant les brevets d'état. J'ai préféré faire des études de prof d'EPS plutôt que médecine. J'ai eu mon diplôme avant 21 ans, j'étais le plus jeune prof d'EPS de mon époque !



CW : Mais déjà cette volonté de continuer à faire du vélo, et si possible de passer pro.

AV : J'en faisais à bloc, la fac de médecine était distante de 150 kms que je m'avalais avec un des premiers walkman d'au moins 500 grammes le dimanche après midi et le vendredi en soirée. J'ai eu une petite proposition par De Gribaldy (dit « le vicomte ») pour passer pro en 2ème année de mes études. J'ai refusé, pour finir mes études. Et je me suis assez vite orienté vers l'entraînement.

CW : Tu es né en 1962, en 1983 tu es « plus jeune prof d'EPS de France », et tu as une proposition pour passer pro que tu refuses. Peut être que ça ne marche pas assez ?

AV : Non ça ne marche pas assez et puis il y a déjà des trucs que je ne comprends pas. En junior je me débrouillais bien mais en sénior je n'ai pas réussi à véritablement percer. J'ai fait des beaux résultats, mais pas assez bons. Jacky Durand, Madiot me tournaient autour. J'étais un des premiers à Bordeaux à analyser les VO2max. A cette époque là ce n'était pas monnaie courante. Et je savais que j'avais un bon potentiel. Après il y a la vie qui est passée dessus... J'ai vu le fameux docteur Bellocq à Bordeaux. J'ai essayé des suppositoires de caféine. J'ai fait 9ème de Bordeaux-Saintes (une grande classique) et j'en avais plein le cuissard. Une expérience. J'ai décroché un peu du vélo et je suis revenu quelques années après pour véritablement créer le premier pôle France, tous sports confondus. Je l'avais appelé « Centre Permanent d'Entraînement et de Formation de Haut Niveau » (CPEFHN) à Flers, avec 60 athlètes venus de toute la France. Il y a des athlètes qui ont fait le Tour après, et Laurence Leboucher qui a été championne du monde cyclocross et VTT. Hinault et Delisle ont été les parrains de promotion. J'ai commencé là, j'ai fait une association ad'hoc, pour faire un truc qui m'a fait vraiment connaitre au niveau de l'entraînement et de tout le milieu. C'était le début des années 90. Je me suis vraiment consacré à 100% à l'entraînement. Je bossais près de 100 heures par semaine, tout reposait un peu sur moi mais j'ai trouvé énormément de sponsors, des athlètes venant de partout, des Bretons, ... Je me suis vraiment passionné pour l'entraînement. J'étais le premier, je pense, en France à faire utiliser des cardiofréquencemètres de manière systématique. Je suis allé en Finlande et suis devenu consultant pour Polar ! J'utilisais l'informatique aussi, qui en était à ses débuts... Et je me suis intéressé aussi à la position sur le vélo, au matériel. On avait signé un contrat avec Michelin pour tester des pneus.

les premiers calculs de Watts


CW : Au début des années 90 tu as tout juste 30 ans, tu te rends compte que l'entraînement c'est « ta voie » ?

AV : C'est à dire que je peux le coupler avec mon métier. J'ai été « mis à disposition » de mon métier de prof d'EPS pour créer cette structure au sein de l'éducation nationale. J'emmenais les coureurs dans des courses amateur-élite, au circuit des Mines, au Tour de Wallonie, ... des gamins qui avaient 20 ans . Et on a gagné les Trois jours de Cherbourg devant Vivien qui était champion du monde, avec un gamin de 20 ans qui s'appelait Lylian Lebreton, qui a fait ensuite le Tour de France et qui est maintenant directeur sportif.

CW : Il n'y avait que des cyclistes sur route ?

AV : Oui. Les plus connus sont Lylian Lebreton, Anthony Morin, Laurence Leboucher, etc. Dans l'encadrement il y avait Lionel Marie. Mais également un autre qui est maintenant directeur sportif chez Europcar. Il y a eu des belles réussites de vie chez ces gamins là, ils ont appris la vie entre 17 et 20 ans ! Certains ont passé le bac, leur BTS, ... Ils ont tous pas mal réussi leur vie grâce au vélo. Oui ça a été une belle réussite.

CW : Et ensuite tu redeviens indépendant, et tu rencontres Bruno Roussel...

AV : Comme je te disais j'ai fait mes études à Bordeaux en tant que prof d'EPS. C'est là-bas que j'ai rencontré Bruno Roussel, qui passait son Brevet d'Etat. Il a été formé à l'école de l'entraînement, il était comme moi : un bon amateur mais il n'a pas passé le rubicond. Son père était un célèbre conseiller technique régional qui s'appelait Ange Roussel, un autre Breton. Bruno avait l'encadrement et le vélo « dans le sang » (rires).
J'ai monté ma structure de sport-études, et j'ai arrêté au bout de 3 ans. J'ai pris une année sabbatique par rapport à l'enseignement et je me suis dit que j'allais me lancer dans l'entraînement de coureurs. J'ai gardé 7 ou 8 sport études, on va dire les meilleurs, et j'ai fait mon pool d'entraînement. J'étais entraîneur individuel pour une dizaine de coureurs. C'est dans un hall d'aéroport que j'ai rencontré Pascal Hervé qui m'a dit « j'aimerais bien que tu m'entraînes ». Donc j'ai commencé à entraîner Hervé avant d'être embauché chez Festina. J'ai aussi fait « chauffeur de presse » au Tour d'Italie pendant cette période pour voir « mes » coureurs. J'avais mon BE (Brevet d'état), j'étais reconnu comme entraîneur et j'entraînais Jérome Chiotti qui est devenu au Groupement le plus jeune champion de France de cyclo cross, devant Emmanuel Magnien et toute la clique. Tout le monde a su que Jérôme Chiotti était entrainé par Antoine Vayer, que les entraîneurs ça existait. Il s'est alors passé 2 choses.
1- J'ai été contacté par Catavana Corbeil-Essones, équipe montée par les frères Gallopin, qui n'a vécu que très peu de temps. Je suis allé à l'Etoile de Bessèges avec Chiotti, il y avait Madiot et ça s'est très mal passé. Madiot disait que les cardiofréquencemètres étaient des mouchards... L'expérience n'a duré qu'un temps.
2- J'avais été contacté avant par le Groupement qui n'avait personne titulaire d'un BE (Brevet d'Etat) pour être Directeur sportif. J'ai reçu ma licence de DS au Groupement, mais je n'ai jamais travaillé pour eux ! Car au moment de prendre l'avion pour aller bosser pour eux, j'ai reçu un coup de fil me disant qu'apparemment je dérangeais, déjà. Faut pas déranger.

CW : Comment se fait le contact avec Festina ?

AV : Roussel est le premier DS qui avait pris dans l'équipe un diététicien. Festina était donc la première équipe qui avait un diététicien : Denis Riché, toujours diététicien pour Bardet. Mais il n'avait rien à voir avec le dopage, et était contre, comme moi, mais de manière frontale.
J'ai rencontré Roussel plusieurs fois pour bosser pour lui. Je lui disais « ça n'existe pas les entraîneurs en vélo, qu'est-ce que tu en penses ? ». Lors du célèbre contre-la-montre Mayenne-Alençon (TDF 95 : http://www.lagrandeboucle.com/article.php3?id_article=317) gagné par la Gewiss-Ballan, Bruno m'avait demandé si je pouvais l'aider sur le parcours. Je me suis rendu sur le contre-la-montre et j'ai préparé pour l'équipe des choses qui ne se préparaient pas trop avant (des relevés de temps, des reconnaissances, etc). Le soir de la course, Roussel me dit qu'il aimerait que je sois entraîneur de l'équipe à partir de septembre. « Que tu ne sois qu'entraîneur, que tu leur fasses passer des tests, mais que tu sois là aussi pour l'aspect matériel, technologique, psychologique, physiologique, ... Que tu fasses un boulot que personne n'a jamais fait », car ça n'existait pas ! Lui il avait fait ça, mais il était vite passé directeur sportif.
J'étais un jeune entraîneur qui commençait à être reconnu pour sa manière particulière de bosser. C'est à dire avec des cardiofréquencemètres systématiques, de l'humain, et il faut bien le dire aussi, avec des diplômes au-dessus de CAP boulanger. J'ai dit oui. La première chose qu'il m'a dit, c'est « par contre tu ne t'occupes pas des soins, du sang, etc ». J'ai répondu « de toute façon ce n'est pas mon truc, moi mon truc c'est l'entraînement ».
Je suis rentré dans l'équipe complètement « novice » et Roussel m'a très bien expliqué qu'il y avait des docteurs, des soigneurs, etc. Moi je devais m'occuper de ce que je savais faire : l'entraînement. Et c'est ce que j'ai fait pendant 3 ans. Roussel l'a dit : j'étais contre le dopage, enfin je n'étais pas pour...

Fin de la première partie de l'entretien

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