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Tour d'Italie 2020 : trois étapes de cols passées au crible. Par Frédéric Portoleau

30-10-2020, 15:08 - Frédéric Portoleau

1) 18 oct. - 15ème étape - Piancavallo

L'ascension de Piancavallo a provoqué une grande sélection parmi les favoris du Giro. Pour la première fois depuis le début de l'épreuve, Geoghegan Hart et Hindley se sont réellement mis en évidence. Derrière eux, Kelderman qui va rester en rose et Almeida ont aussi réussi de belles ascensions. Tout le reste de la concurrence a été largement dominé.

Geoghegan Hart, Hindley et Kelderman ont donc été les plus rapides sur l'ensemble de la montée jusqu'à l'entrée de la station (13,82 km à 8,05%) avec un temps de 37m52s. En 2017, Thibaut Pinot avait escaladé la montée de Piancavallo en 38m50s. Plus loin dans le temps, en 1998, Marco Pantani avait établi le record de l'ascension en 36m20s. Vous pouvez retrouver les détails de ces ascensions dans nos deux précédents articles, ici et .

Un rappel de la période de Lance Armstrong

Cette performace au Giro 2020 représente une puissance étalon de 448 watts pour Hindley qui a longtemps mené, et 442 watts pour le duo Geoghegan Hart - Kelderman. En puissance réelle, si Jai Hindley pèse 60kg, son rapport poids/puissance est de 6,55 w/kg.

L'altitude relativement basse de la station de Piancavallo (1271m) favorise les puissances élevées. Néanmoins, il y avait trois ascensions en cours d'étape et la performance a été réalisée à la fin de la deuxième semaine de course.

Si on compare avec le passé, les performances des trois premiers de l'étape nous rappelle la période de Lance Armstrong. D'après mes données disponibles, l'Américain avait réalisé une de ses plus belles performances sur la montée d'Hautacam sur le Tour de France 2000. Il avait développé l'équivalent de 455 watts étalon pendant 36m25s. L'altitude finale d'Hautacam, 1570m n'est guère plus haute que celle de Piancavallo. En tenant compte d'un vélo plus lourd d'un kg il y a 20 ans, l'écart entre Hindley et Armstrong serait seulement de 10 à 15 watts en puissance étalon.

La performance d'Hindley est du même acabit que celle de Tadej Pogaçar au Col de Peyresourde sur le Tour de France 2020 (24m35s à 462 watts étalon) et de celle de Quintana au Mont Ventoux au Tour de Provence de cette année (28m05s à 463 watts étalon).

Piancavallo en détail

L'équipe Sunweb a pris les affaires en main dès le pied de l'ascension. Plusieurs équipiers de Kelderman, le leader désigné de l'équipe, se sont relayés en tête du peloton des favoris. La puissance étalon pour Hindley, alors dans les roues, est déjà de 459 watts sur la première portion de 3 km. Dans la partie la plus raide à 10%, Fuglsang, Pozzovivo, Nibali ne peuvent plus suivre le tempo de l'équipe Sunweb. La puissance étalon de Hindley se maintient à un niveau très élevé : 450 watts.

Plus haut dans le col, Hindley se porte en tête du groupe des favoris. Almeida, le maillot rose, décroche. Seuls Kelderman et Geoghegan Hart restent dans la roue de l'Australien. Sur l'ensemble des trois premières portions de Piancavallo (la partie la plus raide), Hindley a développé l'équivalent de 455 watts étalon pendant 28m24s.

Il va poursuivre son effort jusqu'au sommet avec ses 2 compagnons d'échappée dans sa roue. Kelderman semblant toutefois à la limite de se faire décrocher tandis que Geoghegan Hart apparaît très à son aise. Cette dernière portion à moins de 6% favorise les coureurs qui restent dans les roues.



Nibali à son niveau de 2017

Nibali pour sa part a escaladé l'ensemble de la montée (13,8 km) en 39m25s. En 2017, il avait réalisé une performance de 39m06s avec un peu de vent favorable dans les derniers kilomètres. Il était aussi resté plus souvent dans les roues (plus d'aspiration). En puissance étalon, j'avais estimé à 420 watts sa montée de 2017. Cette année, l'estimation donne une puissance étalon de 425 watts.

Nibali avait gravi la portion raide de 9,63 km en 29m44s en 2017, cette année il est plus rapide en 29m25s. Si l'Italien pèse toujours 63 kg, son « rapport poids/puissance » serait de 6,3 w/kg en 2020 contre 6,2 w/kg en 2017. Cela montre qu'il se maintient à un très bon niveau cette année.

2) 22 oct. - 18ème étape - Lacs de Cancano et col du Stelvio

Au cours de la 18ème étape, les coureurs devaient franchir le célèbre col du Stelvio à 2758m d'altitude. Moins pentu que le Mortirolo ou le Zoncolan, il reste une des ascensions les plus difficiles des Alpes pour les cyclistes du fait de sa longueur et son altitude.

Le récital Rohan Dennis- acte 1

On s'attendait à un nouveau coup de force de l'équipe Sunweb pour permettre à Kelderman de renverser la situation et de distancer Almeida le maillot rose. Après un début d'ascension déjà très rapide avec en tête du peloton la Sunweb de Kelderman, c'est Rohan Dennis, coéquipier de Geoghegan Hart, qui va hausser le rythme et provoquer la grande lessive. Almeida est lâché 3 km après Trafoi puis c'est le tour de Nibali quand Dennis prend les choses en main à 10,5 km du sommet. Kelderman cède vers 2000m d'altitude à 9 km du sommet avant l'Hotel Franzenshohe. Le tempo imposé par Dennis est trop soutenu pour lui.

Comme sur Piancavallo, trois coureurs se retrouvent en tête. Cette fois-ci avec Dennis, Geoghegan Hart et Hindley. Kelderman résiste toutefois bien puisqu'il passe au sommet avec seulement 47s de retard. Les autres leaders concèdent plus de temps. Bilbao et Fuglsang accusent 1m45s de retard au sommet, Nibali 2m34s et Almeida accompagné de Konrad, Pernsteiner et Majka 3m40s.

391 watts étalon pendant plus d'une heure en altitude

Dennis, Geoghegan et Hindley ont été les plus rapides sur l'ensemble de la montée (24,8 km à 7,43% depuis Prato allo Stelvio) avec un temps de 1h11m15s. Une estimation de puissance peut être faite en enlevant 2,3 km en pente faible au pied du col. Pendant 1h07m30s, Dennis, Geoghegan Hart et Hindley ont développé l'équivalent de 391 watts. La performance est de très haut niveau pour cette durée et cette altitude. Le graphe suivant montre les principales performances relevées depuis 1994 pour les cols au dessus de 2000m. Dans cette série de données, il y a à la fois des cols en cours d'étape et d'autres en dernière position à proximité de l'arrivée. Pour tenir compte de l'altitude, les valeurs de puissance étalon ont été corrigées et ramenées à une altitude équivalente de 1000m. Pour cela j'ai appliqué une perte de 6% de puissance chaque 1000m, en m'inspirant de la publication "Impact of Altitude on Power Output during Cycling Stage Racing".


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La droite jaune montre la perte de puissance théorique (5 watts ou 0,1 w/kg toutes les 10 minutes) entre les durées d'effort de 20 à 60 minutes. Il n'est pas possible de classer précisément toutes ces performances en raison :
- de l'application d'un facteur de correction lié à l'altitude qui n'est pas forcément le même pour tous les coureurs
- de la position des cols dans les étapes.
La performance de Dennis, Geoghegan Hart et Hindley (les 2 points rouges sur le graphe) ferait tout de même partie des grandes performances en altitude réalisées ces dernières années. Pour des cols éloignés de l'arrivée, la performance du jour est proche de celle de Bernal sur l'Iseran en 2019 et de celle de Pantani sur le Galibier en 1998 (montée relativement lente après Valloire puis forte accélération de l'Italien après Plan Lachat). Elle se rapproche aussi d'autres performances faites sur des montées finales : Lopez sur le col de la Loze en 2020, Pinot au Tourmalet en 2019, ou encore Barguil sur l'Izoard en 2017. Les performances des années 1990 (Ullrich, Rominger, Pantani) ainsi que celle d'Andy Schleck sur le Tourmalet en 2010 restent en revanche d'un autre niveau.

Plus les coureurs montent en altitude, plus leur potentiel est affecté.

L'image 3D ci-dessous montre les variations de puissance relevées sur la dernière partie de l'ascension du Stelvio. C'est au moment de l'accélération de Dennis que la puissance est la plus élevée avec 413 watts durant 11m13s (5,9 w/kg si 70 kg). Mise à part cette phase de course, plus les coureurs montent en altitude, plus leur potentiel est affecté. Sur les 4 derniers kilomètres les hommes de tête n'ont pas dépassé 356 watts étalon (5,1 w/kg si 70 kg).


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Depuis Trafoi, les trois meilleurs grimpeurs du jour n'ont pas amélioré le temps de Franco Vona. L'Italien avait attaqué au début de l'étape d'Aprica, remportée par Marco Pantani, et avait réalisé un temps de 44m46s. Dennis, Geoghegan Hart et Hindley ont gravi cette portion de 14,3 km en 46m28s. En 1994, le rythme avait été relativement lent dans la première partie du col.

Rohan Dennis a joué un rôle crucial sur la suite de cette étape. Avec ses qualités de rouleur, il a permis à Geoghegan Hart et Hindley, collés dans sa roue, de reprendre 1m07s à Kelderman, seul derrière, sur la portion plate de 8 km précédent la dernière ascension vers les lacs de Cancano.

La dernière montée a été plus tactique, Geoghegan Hart et Hindley se sont observés, se méfiant l'un de l'autre. Bilbao leur a d'ailleurs repris 1m11s sur cette dernière ascension. Il a gravi les 8,2 km en 23m35s à une puissance étalon de 380 watts. Geoghegan Hart s'est contenté de 363 watts étalon. Les autres coureurs ont montré des signes de fatigue encore plus marqués, la bataille du Stelvio a laissé des traces dans les organismes.

3) 24 oct. - 20ème étape - Sestrières x3

La veille de l'arrivée, une triple ascension de Sestrières, en remplacement de l'enchaînement Agnel/Izoard/Montgenèvre était au menu.

L'intensité de la course monte d'un cran quand Rohann Dennis, encore lui, accélère dans la deuxième ascension de Sestrières à 30 km de l'arrivée. Comme lors de l'étape de Stelvio, seuls Geoghegan Hart et Hindley peuvent le suivre. Kelderman, porteur du maillot rose, montre encore ses limites. Au sommet, Dennis, Geoghegan Hart et Hindley possèdent 36s d'avance sur un groupe où figurent Kelderman, Almeida, Nibali, Bilbao, Pozzovivo et emmené entre autres par Julien Bernard. Sur la montée de 6,5 km à 7,6% depuis Sauze di Cesana, Dennis a développé l'équivalent de 436 watts étalon pendant 17m13s (6,2 w/kg si 71 kg). Pour un col en cours d'étape et à une altitude moyenne de 1800m, la puissance est élevée. Les favoris distancés comme Kelderman ne dépassent pas les 412 watts étalon.

Le récital Rohan Dennis- acte 2

Dennis va poursuivre son effort dans la descente et surtout sur une portion en faux plat montant avant une nouvelle montée de Sestrières, toujours par Sauze di Cesana. Dennis menant seul devant a creusé l'écart alors que plusieurs équipiers étaient encore disponibles à l'arrière pour rouler. Au pied de la montée finale, les hommes de tête, avec Dennis, possèdent 1m47s d'avance sur le groupe du maillot rose Kelderman.

Dans les quatre derniers kilomètres, Hindley tente à trois reprises de lâcher Geoghegan Hart, sans succès. Ce dernier remporte même l'étape au sprint. Derrière, Almeida part tout seul et réalise le meilleur temps de l'ascension finale en 17m19s pour 6,5 km soit 432 watts étalon. Geoghegan Hart et Hindley ont grimpé moins vite que lors du premier passage en 18m06s. Le coureur le plus fort du jour était encore Rohan Dennis.

Au classement général Geoghegan Hart et Hindley sont maintenant dans le même temps. Une situation incroyable après 3 semaines de course.

Pour la petite histoire, ce versant de Sestrières avait été gravi à la fin d'un contre-la-montre en provenance de Briançon lors du Giro 2000. Stefano Garzelli avait été le plus rapide en 17m09s sur la même portion.

Des jeunes avec un incroyable talent ?

En montagne, la plus grande performance athlétique de ce Giro est à mes yeux la montée de Piancavallo par Hindley qui peut nous rappeler ce que l'on pouvait voir dans les années 2000. Les autres étapes de montagne sur ce Giro, à l'Etna ou à Madonna di Campiglio, ont eu peu d'impact sur le classement final.

Cela fait plusieurs années que l'on présente Tao Geoghegan Hart, 25 ans, vainqueur de ce Giro, comme un futur grand coureur. En début de saison 2020 j'avais relevé une belle performance pour Tao Geoghegan Hart au Tour de la Communauté de Valence derrière Pogaçar avec 448 watts étalon (6,45 w/kg si 65 kg) sur 19m21s lors de la montée de la Sierra de Bernia. Malgré ses références et ses courses déjà remportées (deux étapes du Tour des Alpes en 2019, 20ème de la Vuelta en 2019 ainsi que d'autres belles places) je ne le pensais pas capable d'être si fort sur ce Giro, en particulier à Piancavallo. Ce constat est valable également pour Jai Hindley et Joao Almeida. Nous sommes dans une époque où de nombreux jeunes coureurs, Pogaçar en tête, développent des niveaux de puissance exceptionnels pour leur âge par rapport à ce que l'on pouvait observer il y a 5, 10 ou 20 ans.

Frédéric Portoleau