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[BLOG-FESTINABOY#6] Payé selon ses besoins ou bien au mérite ? GUILLAUME MARTIN Maillot jaune ?

09-09-2020, 11:04 - Antoine Vayer

Guillaume Martin, 27 ans, est un jeune philosophe titulaire d'un master de Paris-Nanterre. Il a écrit notamment le livre « Socrate à vélo ». C'est aussi un coureur cycliste professionnel. Depuis 2017, il a terminé 23ème, 21ème et enfin 12ème du Tour de France l'an dernier. Il progresse selon une courbe d'équation y=1+4(x2-1)/x4, une asymptote. La science est l'asymptote de la vérité. Elle approche sans cesse et ne touche jamais. Il est actuellement 4ème du Tour de France avant la 6ème étape. C'est celle de mon 1er radar test long et dur (voir chronique #2). C'est celle du terrible col de la Lusette, 9,84 kms à 8%. Il devrait être escaladé en moins de 30 minutes, vers 420 watts étalon. Il précède le Mont Aigoual d'arrivée, moins pentu. Guillaume est un bon étalon aussi, d'un autre type. Il ne triche pas. Il est « éthique », lui, tout comme son entraîneur qui le suit depuis ses 21 ans, Samuel Bellenoue. Pour avoir des indices sur cette éthique, il faut voir quel est l'entourage de l'athlète et le choix de ses fréquentations. Guillaume a gagné une place hier au classement général, avec la pénalité d'Alaphilippe. Julian et son équipe Belge ont, une fois de plus, joué avec l'éthique et le feu (voir chronique #3). Son cousin-entraîneur lui a donné un ravitaillement hors zone autorisée. C'est la grande famille du vélo qui en profite pour enfreindre les règles. Cette fois, cela s'est vu. Il a été sanctionné. Il a perdu son maillot jaune. Un de perdu, dix de retrouvés. Ce qui est pris n'est plus à prendre. Mais cette fois, le pas-vu pas-pris n'a pas opéré. Guillaume, lui, ne l'a jamais enfilée la toison d'or. C'est presque un rêve kafkaïen que de la porter, même sur une seule journée. « J'adhère à l'ambition du top 10 sur le Tour et/ou victoire d'étape » m'a-t-il dit. Pourtant il le mériterait ce paletot. « Il faudrait inventer les classements au mérite » m'a-t-il écrit aussi récemment. C'est vrai. C'était après une défaite contre le Russe Vlasov au Challenge du Mont Ventoux où il a terminé 3ème. Las, le maillot bio-vert n'existe pas encore.



Rester philosophe

Son entraîneur, 40 ans, philosophe aussi un peu. Il se dit que son Ornais n'est peut-être pas le meilleur moteur de tout le peloton. Que Roglic, qui finit comme une balle ses ascensions et semble imbattable depuis deux ans a certes, peut-être moins de talent, travaille peut-être moins bien qu'eux à l'entraînement, mais qu'il « possède des qualités innées et lactiques supérieures ». Il serait mieux né, à Trbovlje, au fin fond de la Slovénie ? La philosophie de Samuel est prévenante. Moi je pense que Roglic n'en produit presque pas de déchets musculaires, de lactates, lors des sprints en col, au contraire et que c'est cela le problème. Il est trop oxygéné, trop d'hémoglobine. Guillaume est un enfant de Sainte Honorine la Chardonne. Je suis né tout prés, bien avant lui, à La Ferté Macé, pays de la tripe. Ce sont deux villages dans l'Orne. Guillaume a intégré un Lycée à Flers où j'avais créé une grosse section sport-études cyclisme avant d'entraîner l'équipe Festina. Il a aussi accepté de parrainer un autre sport-études cyclisme à Laval que j'avais aussi créé. Je l'ai rencontré lors d'une longue interview avant son premier tour de France pour le magazine Le Cycle, alors qu'il était quasi inconnu. Depuis, comme au travers de ses chroniques de vélosophie pour le journal Le Monde où j'officiais également et que je lui ai proposé de faire, ou comme à d'autres occasions, j'essaie de garder le lien. Comme avec d'autres coureurs, je fais le point sur eux et leurs adversaires. Comme son entraîneur, Guillaume reste philosophe et prudent les concernant. Il les respecte mais ne les craint pas. Je l'encourage comme je peux. Déjà, j'essaie de contribuer à éliminer ou amoindrir les forces de ceux qui ne sont pas éthiques et de leur entourage. Guillaume m'assure que « l'ambition ne sera jamais que sa seule potion, je veux savoir quel niveau je peux atteindre: that is the question » (sic). Je le crois sur parole. Il en a une. Il la tient. On ne peut pas être plus droit dans ses bottes que quelqu'un qui a écrit une pièce de théâtre tel « Platon vs Platoche », jouée tant au festival d'Avignon que dans la salle municipale de Saint Georges des Groseillers.



Entraîneur

Pourtant cette année, il a passé un cran. Il a augmenté son potentiel de plus de 5% en watts. Cela se voit sur le terrain de ses performances. Je me suis donc entretenu avec Samuel hier, son entraîneur de toujours, pour comprendre. En 1995, j'étais le seul entraîneur de toutes les équipes professionnelles du Tour de France. Depuis que le procès Festina est passé, où je suis allé en tant qu'expert de l'entraînement et témoin de moralité, le milieu et les instances ont compris que les universitaires avaient autant droit de cité que les médecins de la performance. Ils peuvent donner des garanties éthiques, plus que les gourous, quant au mode de préparation. Ils sont des garde-fous. Ils ne s'occupent pas du sang et ne distribuent pas de cachets, ni de bidons, sauf le cousin d'Alaphilippe. Julian est une exception qui confirme la règle de la grande famille du vélo, nous savons. Les bonnes équipes ont donc ajouté à leur staff environ un entraîneur pour six coureurs. Un bon entraîneur travaille avec son athlète selon quatre axes : physiologique, psychologique, technique et connaissance de l'activité. Samuel Bellenoue a toujours su qu'il voulait être entraîneur, comme certains rêvent d'être pompier. Il a fait une formation exactement comme un compagnon du devoir aussi appelé compagnon du tour de France. Il se définit d'ailleurs comme un artisan. Duathlète de talent, il est passé de l'athlétisme au VTT, du sud au nord, via Vitrolles et le cyclo-club d'Etupes où il a remplacé Julien Pinot le frère entraîneur de Thibaut, à la tête du pôle performance sur route. Il a là-bas rencontré et entrainé le jeunot Guillaume Martin, 21 ans, mais aussi Adam Yates qui est le nouveau maillot jaune ! A force de compétences, il a été ensuite été appelé par AG2R, l'équipe de Romain Bardet. On l'a tout de même autorisé à continuer d'entraîner Guillaume qui était leader de l'équipe Belge de seconde division Wanty. Cela ne devait pas faire d'ombre à AG2R, en première division.



Alternatives

Il a alors mené une thèse sur l'altitude en parallèle. Il est désormais considéré comme LE spécialiste de l'entraînement en hypoxie, une des alternatives au dopage pour booster ses performances, sauf si on fait les deux. Il est devenu alchimiste de l'or en barre qu'est son poulain Ornais. Il l'accompagne tout au long de ses 32000 kilomètres parcourus dans l'année avec moult stages du côté de l'Etna, en Sierra Nevada, mais aussi à Prémanon dans le Jura, en chambre hypoxique. Guillaume a rejoint Cofidis en première division cette année. Il a emmené dans ses bagages son coach de toujours. Tous les deux travaillent sur l'hydratation de réfractométrie et sur la variabilité cardiaque pour jauger de la récupération par exemple, mais également avec une diététicienne. Samuel passe 60 jours par an en altitude pour les stages. Pour préparer le Tour de France ils ont séjourné la quasi-totalité du mois de juillet « là-haut » pour un gros « bloc d'entraînement ». Leur affection est réciproque. Ils s'apprécient avec la tête sur les épaules. Ils ont en commun le respect de ces fichues valeurs du sport, par ailleurs beaucoup galvaudées. Quand on leur a proposé en interne, « clé en main », , l'utilisation de ces « cétones », produits chimiques synthétisés favorisant la récupération que les équipes Ineos, Jumbo Visma et Quickstep par exemple utilisent abondamment, ils ont dit non. En pleine conscience, ils ont considéré que ce n'était pas éthique le « in vitro » et les boissons magiques. Le principe du « tout ce qui n'est pas interdit est autorisé », pour eux, c'est comme pour Cyrano de Bergerac, c'est : « non merci ! ».


« À force de travail et de recherche in vivo, en affinant nos stages, on les a gagné nos 10 à 20 watts. Maintenant, Guillaume peut suivre sans subir », m'a dit l'entraîneur.

« J'ai enlevé mon capteur de puissance pour alléger mon vélo. Je vais voir si je peux contribuer, par mes actes à continuer d'écrire mon histoire au Tour. J'espère que je ne vais pas m'arrêter là, ce serait dommage ! », m'a dit l'entrainé.

La science est l'asymptote de la vérité. Elle approche sans cesse et ne touche jamais, certes. Mais Guillaume l'entrainé mériterait quand même de prendre le maillot jaune ce soir, même s'il n'en a pas besoin. Samuel l'entraîneur le porterait alors aussi sur ses épaules.

Antoine Vayer