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[BLOG-FESTINABOY#18] Cyclisme à DEUX VITESSES et DOPAGE PASSIF

16-09-2020, 19:25 - Antoine Vayer

Au début de l'année 1999, Jean-François, journaliste, qui était mon ami à l'époque, m'avait conseillé d'envoyer mon témoignage au juge Kiel qui instruisait l'affaire Festina ouverte depuis juillet 1998. Je n'avais pas été entendu, les enquêteurs n'avaient pas jugé bon de le faire à la faveur de tous les témoignages recueillis. « Sois citoyen », m'avait-il dit. J'ai fait mon devoir. Cela a eu le mérite de faire convoquer et d'inculper Virenque, entre autres. Je l'avais chargé (dans mon PV !). Lors des premières courses de 1999, il y eut un festival d'une équipe néerlandaise, la Rabobank, notamment à Paris-Nice, où ils avaient mis quatre coureurs dans les six premiers, 1er, 2ème, 5ème, 6ème. Les 3ème et 4ème : Santiago Botero et Franck Vandenbroucke, c'est dire... L'équipe Jumbo-Visma, ultra-dominatrice sur ce Tour 2020, c'est la suite logique néerlandaise de la Rabobank, avec un même rendement supérieur à tous les autres. J'ai pour la première fois utilisé l'expression « cyclisme à deux vitesses » en 1999. Certains continuaient de se doper outrageusement quand d'autres avaient été contraints d'arrêter ou de ne prendre que des produits légers. Jean-François l'avait mise (l'expression !) dans la bouche d'un coureur, Jean-Cyril Robin, pour que cela ait plus d'écho.



Nous savons la résurgence du dopage lourd en 2020, après la période de confinement duty-free en plus, avec des méthodes et des produits indétectables, sang, hormones, etc. Voir chronique #1. Nous savons aussi que beaucoup de français font partie des coureurs qui jouent le jeu. Hier ils ont fini 14ème à quatre minutes pour Guillaume Martin, 15ème avec Madouas et 16ème avec Elissonde à six minutes. Ils ne craquent pas, ils sont à leur rythme de champions avec un talent énorme. Au classement général, le Normand philosophe est 1er français, 11ème à plus de 10 minutes de Roglic, le Breton Barguil 14ème à 25 minutes, Pierre Rolland 18ème a presque une heure de retard. Le Président de la République a dit aux Français qu'il était fier d'eux car ils « ont du coeur et qu'on ne peut pas leur enlever ça ». Ils ont du coeur, mais pas les watts. On peut difficilement les soupçonner de tricherie. Le Tour 2020, c'est la résurgence du cyclisme à deux vitesses. Point. C'est aussi eux qui subissent ce que j'ai appelé le dopage passif. En essayant de suivre, ils s'esquintent la santé, ils vont au-delà de leurs limites. Comme je le dis aussi :

Le sport c'est atteindre ses limites. Le dopage, c'est les dépasser.


Ce n'est pas avec le coeur au maximum de ses pulsations dès le pied du col de la Loze que les français pouvaient faire quelque chose. Le col de la Loze : 21,55 km à 7,66% (651m en bas, 2302m en haut). Superman Lopez, c'est ainsi qu'il se qualifie, a gravi ce col infernal en 1h00min50s. Près de deux minutes en deça de nos prévisions les plus pessimistes, voir chronique #2. Il a bénéficié de l'abri jusqu'à 5 km de l'arrivée, sur la partie la moins pentue, soit 70% du temps. En puissance étalon, Lopez se situe à 406 watts, ou 5,95 w/kg si 60kg. Roglic 2ème a perdu 15s, soit 1h01min05s et 405 watts étalon (5,8 w/kg si 65 kg). Pogaçar, 3ème, termine à 30s, soit 1h01min20s et 403 watts étalon (5,8 w/kg si 64 kg). Il est meilleur jeune et meilleur grimpeur. Un maillot que les français n'auront pas, non mais ! Guillaume Martin, notre premier Français, a concédé 3min59s, soit un temps de 1h04min49s et 378 watts étalon (5,6 w/kg si 55 kg). Sur la fin du col de la Loze, 5 km à 9,94% en haute altitude, où la V02max ne fonctionne pas à plein, où les rendements sont vraiment moins bons, 1803m en bas, 2302m en haut, Superman Lopez, roi des cimes a gravi la dernière portion en 16min40s, à une vitesse moyenne de 18,07 km/h. Sa puissance étalon est de 432 watts à 6,3 w/kg. C'est trop exceptionnel car l'altitude moyenne est de 2050m sur ce tronçon final. Sur une montée classique du tour à une altitude moyenne de 1000m, il pourrait se situer à 459 watts étalon pour le même effort avec l'hypothèse d'une perte de 6% de puissance tous les 1000m.

C'est une grande performance presque collective pour un final de col, peut être la plus impressionnante de ces dix dernières années, et nous pesons nos mots.



Avant le col de la Loze, c'était celui de la Madeleine : 17,48 km à 8,23% (556m en bas, 1994m en haut), col classique du Tour de France, gravi par une nouvelle route, plus difficile que l'ancienne. L'équipe Barhein de Landa a mené sur toute l'ascension pour réduire l'écart sur l'échappée. La puissance moyenne des leaders abrités dans les roues a été de 380 watts étalon pendant 55min19s. Il ne restait que 26 coureurs vivants dans leurs roues, avec encore des victimes françaises du dopage passif, qui ont explosé dès que la vitesse deux de 400 watts a été mise dans le col de la Loze. C'est une bonne illustration du cyclisme à deux vitesses aussi.



Jean-François est toujours journaliste. Il parle plein de langues et fait maintenant les interviews officielles pour les coureurs et pour les organisateurs du Tour de France. Il mange dans la gamelle. Il ne dira plus rien. Quand il était jeune, il a essayé. Il a été calmé par le milieu. Il parle Italien. Traddutore Traditore est un proverbe. Traducteur-traître ou plutôt, « Traduire, c'est trahir ». Vous croyez que traduire les performances en niveau de tricherie pour confondre les tricheurs c'est trahir le vélo que nous aimons ?

Antoine Vayer