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[TdF21#18] NORMAL, NOT NORMAL ?

15-07-2021, 20:51 - Antoine Vayer et Bertrand Guyot

Le cyclisme est censé avoir été un sport populaire. Est-ce encore un sport ? On parle de moto GP et de manque d'honnêteté, partout. Est-ce encore populaire ? Plus personne ne s'identifie vraiment à des coureurs. Les figures marquantes sont davantage certains dirigeants, organisateurs ou des commentateurs que les coureurs. Les marques de luxe comme Rolex commencent à s'introduire gentiment, sous condition.



Six Français désespérés sur dix coureurs représentés ont tenté de s'échapper sur les pentes du Tourmalet, sous les yeux du sportif et populaire président des pauvres de la République Française. Au sommet, David Gaudu qui ne peut rester que « l'éternel espoir » du Tour de France tant que le triptyque dopage-tricherie-mensonge des riches continuera de régner en maître, est passé de peu en tête au toît des Pyrénées. Il a basculé en compagnie de Pierre Latour au « prix Jacques Goddet », du nom de l'ex-directeur du Tour qui a sa stèle là-haut. Tous les grands hommes ont leur statue ou plaque commémorative en haut des cols. Gaudu aura peut-être la sienne. Elle sera en haut des Monts d'Arrée à Saint Michel de Brasparts, à 381 mètres, vers Landerneau. Il a un bon fan-club breton. Il a été repris à 9.5 kilomètres de l'arrivée dans le col final de Luz-Ardiden par le « train » Ineos. C'est un grand classique. Puis, il a été lâché, c'est un autre grand classique. À trois kilomètres du sommet Sepp Kuss a accéléré pour son coéquipier Vingegaard. Pogastrong a contrôlé et, avec 35min45sec d'ascension, s'en est allé facilement à 500 mètres de la ligne. Il s'est imposé presque en rigolant avec ses 6.1 watts/kg, à douze petites secondes seulement du record de Lance Armstrong qui date de 2003. Dommage. C'eût été fun de battre un troisième record d'ascension sur ce Tour et un 7ème en deux ans pour Pogastrong. Il gagne néanmoins comme l'an passé les maillots jaune de leader, blanc de meilleur jeune, à pois de meilleur grimpeur. Il a déclaré : « J'étais à mon maximum ».

Mentir est une qualité essentielle pour ce métier. Celui qui ne sait pas mentir n'est pas fait, las, pour ce qu'il est toujours.

Lance, lapidaire dans ce qu'il écrit sur les réseaux sociaux, pourrait encore tweeter cette année : « NOT NORMAL ».

Par contre, une petite descente, avec pas moins de 25 gendarmes a eu lieu dans l'hôtel de l'équipe Barhain Victorius, suite à l'ouverture d'une information judiciaire. Là, c'est : « NORMAL ».



Une autre blague circule. Les gendarmes auraient saisi des données d'ordinateurs avec des « datas » et des plans d'entraînement. Cédric Vasseur, ancien coéquipier de Lance Armstrong et manager de Cofidis, les aurait demandées pour entraîner Guillaume Martin avec. C'est le premier Français, qui devrait « normalement » finir 8ème ou 9ème du Tour après le contre-la-montre de Saint-Émilion samedi. Le Normand suit son bonhomme de chemin comme Gaudu, avec son profil de puissance qu'on lui connaît depuis des années.

Nous ne sommes pas les seuls à nous inquiéter des performances et à comprendre ce qui se trame tant d'un point de vue Normal que Not Normal, à travers elles. Tout le monde le fait, pour qui s'intéresse néanmoins encore un peu aux coureurs et à la course. On s'étonne donc notamment de la disparation dans les performances de coureurs qui sont apparus la saison dernière en dominant le peloton international, suite aux longues périodes de confinement. Nous avons demandé une contribution sur ce sujet à Bertrand Guyot.

Antoine Vayer

Le cyclisme « Covid », le nouvel eldorado du dopage ?

Qu'en est-il de la lutte antidopage pendant le « Covid » ? Circulez, il n'y a rien à voir. C'est en somme ce qu'a voulu expliquer Olivier Niggli, le directeur général de l'Agence mondiale antidopage (AMA) à l'AFP le 22 juin dernier. Les confinements ou les quarantaines ? Pas un problème ! « Ce n'était pas une période où le dopage aurait apporté de réels avantages (aux athlètes). Alors oui, peut-être certains ont essayé d'en profiter, mais ce n'est pas une préoccupation particulière pour nous ». Au vu des performances surprenantes qui ont suivi la levée du premier confinement, au vu des protocoles de dopage bien connus notamment en ce qui concerne l'utilisation de l'EPO, une telle déclaration laisse songeur. Surtout lorsqu'il s'agit de la plus haute autorité en matière de lutte contre le dopage.

Ils ont été plusieurs à s'inquiéter de la faiblesse du suivi des coureurs pendant ces périodes atypiques. Thibaut Pinot (Groupama-FDJ) s'en était plaint en février 2021 à L'Équipe. Son dernier contrôle datait alors du mois d'août, peu de temps avant le Tour de France 2020 : « depuis, aucun contrôle inopiné. Ça inquiète tout le monde ». Des contrôles qui se sont raréfiés à partir de 2020, comme l'a également rappelé le coureur allemand Maximilian Schachmann (Bora-hansgrohe) au site SportBuzzer, en mai 2020 : « Je n'ai pas été contrôlé depuis Paris - Nice (qu'il venait de remporter)- c'est-à-dire depuis la mi-mars ». Au mois d'avril 2020, le coureur d'AG2R Nans Peters révélait sur son blog que son dernier contrôle datait du mois d'octobre 2019.

Même si l'AMA considère le problème du dopage « COVID » comme quasi inexistant, certains s'en inquiètent du bout des lèvres. Ce 26 juin sur Ouest France, le patron du Tour Christian Prudhomme s'est livré à cette petite analyse : « Les contrôleurs ne pouvaient pas sortir (pendant le confinement), mais j'ose espérer que certains n'en n'ont pas profité ». Dire peu pour en suggérer beaucoup, en somme. Mais pas question pour ASO de se saisir drastiquement du sujet, le Tour doit faire rêver, peu importe le prix.

Les confinements ont créé un vide en matière de lutte antidopage. L'AMA a publié le 6 mai dernier ses statistiques sur la période 2019 - 2020. Le nombre de prélèvements d'échantillons hors compétitions a diminué de moitié entre 2019 et 2020. Entre janvier et août, cette baisse était de 63,5 % ! (Et de 95 % pour le cyclisme, d'après David Lappartient, président de l'UCI). Mais était-ce si grave, finalement, quand le président de l'AMA nous avoue lui-même la bouche en coeur que cette situation ne l'a pas préoccupé outre mesure ? Il tient d'ailleurs à nous rassurer : « Nous avons d'autres moyens de lutter contre le dopage comme le profil longitudinal et le passeport de l'athlète, le stockage des échantillons. » Des propos approuvés par David Lappartient qui s'en est également remis aux données exprimées par le passeport biologique des coureurs. Peut-être aurait-il été bon de leur rappeler alors que sans contrôles, il n'y a pas d'échantillons à analyser postérieurement. Et que le passeport biologique - c'est l'un de ses grands défauts - exige des prélèvements réguliers pour être à minima fiable.



Un peu plus d'un an après la fin du premier confinement en France, David Lappartient a tenu à nous rassurer. Questionné dans Ouest France sur la performance quelque peu surprenante de Pogacar sur le contre-la-montre de Changé-Laval, puis sur sa performance amstrongesque au Grand Bornand, le président de l'UCI a déclaré son « sentiment que tout est fait » pour éviter la suspicion. Avant de continuer, « dès qu'une performance est hors-norme, tout de suite, il y a de la suspicion. (...) Aujourd'hui je n'ai pas de raison de douter, dans la mesure où rien ne me permet de douter ». La notion de « rien » laisse songeur, tant le coureur slovène affole les compteurs de watts et dépasse des records que l'on pensait pourtant inatteignables depuis l'ère Armstrong.

Pour le breton, avouer ne serait-ce que l'ombre d'un doute, ou tout du moins affirmer que tout sera fait pour s'assurer de la probité de l'étonnant coureur slovène, ne semble pas envisageable. David Lappartient tient avant tout à vendre l'action de sa maison-mère : « Ce que je peux simplement dire, c'est que l'UCI et ses instances compétentes font tous les contrôles nécessaires pour faire la lumière dessus, dans la limite des connaissances de la science ». Nous voilà rassurés, quand il est acté que la plupart des contrôles ne semblent plus détecter quoique ce soit d'envergure, et ce depuis de nombreuses années. Un classique indémodable du vélo, pourtant.

On peut difficilement compter sur un David Lappartient offensif sur la question du dopage. Publiquement, elle semble se résoudre à ses yeux à l'interdiction du Tramadol en 2020, et à celle des corticoïdes en 2022. Dans son Bilan intermédiaire à fin 2020, l'UCI évalue entre autres son action sur l'amélioration de la crédibilité du cyclisme. L'un des points du programme du David Lappartient candidat à l'UCI en 2018 et retenu comme étant "réalisé" aujourd'hui, est de : « Se distinguer comme le sport de référence en matière de lutte contre le dopage par des actions innovantes et avant-gardistes ». Qui est capable de dire quelles sont ces actions innovantes et en quoi sont-elles si avant-gardistes ? Autre "succès" :« Rappeler aux médecins d'équipe leur obligation de valider les infiltrations locales de corticoïdes et de prescrire huit jours d'arrêt de travail et de compétition au minimum ». Des équipes comme Ineos, pour ne citer que la plus connue, ont-elles changé leurs pratiques suite à ce précieux rappel ? On peut en sourire et en douter.

Qu'il s'agisse des Cétones, des transfusions autologues ou de tout nouveau produit qui apparaîtrait sur le marché, David Lappartient reste d'une extrême prudence, se bornant à endosser le costume d'un simple communicant, celui du professionnel politique qu'il demeure (il est désormais Président du conseil départemental du Morbihan [LR] depuis le 1er juillet 2021 en plus de son mandat à l'UCI). Se contenter de ce qui existe, et de ce qui ne détecte plus rien, c'est s'assurer qu'aucun coureur ne sera à l'origine d'un scandale de grande ampleur qui décrédibiliserait le cyclisme. Et par ricochet, ses instances et son président. Quand on brigue un second mandat (Lappartient, seul candidat à sa succession, sera vraisemblablement réélu le 24 septembre 2021), autant prendre le moins de risques possibles. Peu importe si bon nombre d'indicateurs passent au rouge depuis que le Covid s'est immiscé dans la vie du peloton.

Elle est loin, l'image (fantasmée ?) d'un président français réformateur, qui agirait enfin contre les dérives de l'époque, notamment anglo-saxonnes. La période du Covid a laissé un trou béant comblé par de très probables dérives. Combien de coureurs se sont révélés sur les routes européennes depuis juillet 2020 ? Combien ont défié la simple logique de l'âge, de l'endurance et de la performance ? Combien nous vendent de belles histoires qui ne sont qu'autant d'éléments marketing ayant pour but d'atténuer les soupçons et faire diversion ?

Ne posez pas ces questions à l'UCI ou à l'AMA. Ils vous répondront à nouveau : « Circulez, il n'y a rien à voir ».

Bertrand Guyot
Journaliste @bguyot1982